Riccarda Montenero est diplômée de l’académie des beaux-arts de Lecce et en Architecture de l’Université de Turin. Les jardins du Palais Royal de cette même ville accueillent deux de ses œuvres de grandes dimensions. Elle participe à des expositions personnelles et collectives en Italie et à l’étranger, à des festivals de cinéma-vidéo-art. Elle collabore régulièrement avec des artistes et des intellectuels autour de publications ou projets artistiques pluridisciplinaires. En 2011 son travail est présenté dans le pavillon italien de la 54° édition de la biennale internationale de Venise, réalisé par Vittorio Sgarbi. Elle travaille la photographie, la sculpture, l’art numérique et le film 3D. Ses projets artistiques se positionnent dans une démarche humaniste, à travers laquelle elle cherche à faire émerger les invisibles et nous confronter aux violences auxquelles ils font face. Riccarda Montenero vit et travaille entre Paris et Turin.
Rue de l’Esperance
Instants suspendus à l’intérieur du huis clos d’une pièce que l’on aurait tendance à percevoir comme une chambre. Nous ne parvenons pas directement à savoir si les femmes qui s’y trouvent sont heureuses ou blessées, leurs corps souvent dénudés, leurs visages la plupart du temps absents ou cachés sous la chevelure, leurs gestes dont on ne sait s’ils indiquent ouverture et abandon ou fermeture et repli, chorégraphie ou lutte, espoir ou désespérance? La figure humaine – particulièrement féminine – est l’élément central de ces photographies. Elle est représentée dans tous ses états et toutes les positions par son geste créateur et particulièrement de créatrice, Riccarda Montenero exprime son rejet de la violence. C’est la notion ambiguë de la souffrance, de l’agressivité, du mal que nous portons en nous qu’elle met en lumière sans la nommer expressément. L’art est un moyen d’expression de la violence et en ce sens il peut servir à prévenir l’agression puisqu’il permet de dire ce qui n’est pas dicible. Le travail de l’artiste plasticien commence là où la parole s’arrête, avec la transformation de la brutalité instinctuelle en jeu de pulsions, il pousse à un dire, à un faire dire, car il met à jour une forme de vérité sensible. Ainsi dans l’ensemble de cette série l’horreur qu’elle laisse supposer intervient après le mal et rend perceptible la preuve de notre échec.
Cependant le propos de Riccarda Montenero n’est pas de dénoncer frontalement les actes barbares. Par les moyens plastiques à sa disposition, son savant jeu de transparences, son usage du clair-obscur, sa maîtrise des noirs et leurs dégradés de gris, le recours à la lumière blanche, elle suggère que peut-être le désastre connaitrait une limite. L’idée de l’existence d’un espace qui ouvre sur une vie sans cruauté est possible ou tout du moins envisageable. Le titre donné à l’ensemble de la série « rue de l’espérance » l’atteste. L’espérance fait partie des vertus cardinales. La rue de l’Espérance à Paris, dans le quartier Maison – Blanche, où la photographe a pris de nombreux relevés photographiques, n’est rien moins que « cardinale » mais y circulent de nombreux artistes qui y laissent des traces de leur présence et certains de ces graphismes hiéroglyphiques apparaissent de manière fantomatique dans les images de Montenero comme des indices temporels évocateurs de notre époque. L’espérance, d’ordre transcendantal reconduit alors le lien avec les forces de la Vie. – Isabelle de Maison Rouge
Habité par la peur
La peur ne nous abandonne jamais : qu’elle soit grande ou petite, nous sommes constamment habités par la peur. La peur est un sentiment obscur, profond et puissant en raison de sa capacité à conditionner les subjectivités et même le sentiment commun. Les résultats de la distanciation sociale, longtemps imposée par la peur de la pandémie, laissent des traces dans les relations humaines, générant dans la société une perception claustrophobe du monde. Dans Habités par la peur, le corps est représenté de manière brutale : des corps qui défendent la distance et marquent les frontières ; des corps qui, dans l’isolement, rejettent le contact ; des corps seuls et intolérants à l’espace partagé et dans un état constant d’inadéquation.
Dans Habités par la peur Riccarda Montenero capture ces situations de vie et ces émotions, cherchant à offrir un aperçu de nos interactions, observant notre fonctionnement également en tant que modes de communication non verbale. Elle utilise son appareil photo pour décrire le langage du corps qui se défend à l’intérieur de sa distance naturelle, comme s’il marquait des limites.
Tous les êtres, par la nature des choses, sont toujours isolés des autres, même dans les moments les plus intimes, on est toujours par «soi-même», seul, sans jamais être pleinement compris ou ressenti. Parfois le corps agit en rejetant, parfois il protège ou est même amical. Les corps sont constamment dans un état d’insuffisance d’interaction – ils communiquent, démontrent, mais restent dans un état d’être «seul». Riccarda a capturé ces moments d’émotions de peur, les exprimant dans un ensemble de Gestes théâtraux ou de regards d’angoisse, un état de Panique, exaltant le sentiment et les réactions ; parfois même brisant le désir. – Margalit Berriet