/ HAS MAGAZINE
L’espoir que l’éducation artistique et culturelle apporte aux zones post-conflits
Isaac Laguna Munoz
Designer industriel
Isaac Laguna Munoz décrit une tâche particulièrement difficile qui est, en même temps, un devoir extrêmement important – utiliser la force de l'éducation culturelle et artistique dans le processus de réconciliation dans les zones post-conflit en Colombie.

Le cas des écoles de formation et de talent pour enfant dans un espace réincorporé d’ex-combattants des FARC

Dans cet essai, je m’intéresserai à la question de l’espoir fondé sur l’importance de l’éducation artistique et culturelle pour les communautés des zones post-conflits, en utilisant l’exemple du processus de réincorporation d’une communauté d’ex-combattants des FARC en Colombie. Pour cela, l’issue du conflit et la violence historique qui prit fin grâce à un accord de paix vers 2016 – et qui mena à une refonte de la société colombienne – seront ­abordés.

Par la suite, je m’intéresserai au cas d’une communauté d’ex-combattants durant leur processus de réincorporation à la vie civile, ainsi qu’à la façon dont l’émergence d’initiatives et de groupes en faveur de l’éducation, la culture et le sport ont promu les processus de réconciliation, l’appropriation du territoire et la projection sociale. Pour terminer, je produirai quelques conclusions sur l’importance de la formation artistique et culturelle dans la construction d’une identité communautaire et la résolution de conflits.

La Colombie a connu une histoire de violence pendant plus de cinquante ans. Les deux principaux acteurs de cette histoire étaient la guérilla et les groupes paramilitaires. Les conflits entre ces groupes et l’armée colombienne ont détruit de nombreuses vies. Des milliers de personnes ont migré des villages et zones rurales vers les villes afin de se protéger, et ceci a généré des problèmes d’allocation foncière et de chômage. Depuis les années 50, les gouvernements colombiens ont essayé de résoudre ce problème et ont passé des arrangements pour que ces groupes cessent les combats et rendent les armes. La démobilisation d’un des groupes de guérilla les plus fortement armés, les FARC, débuta en 2016, ce qui a ouvert la voie à un processus de réintégration à la vie civile.

Ce processus, qui a été rendu accessible à ceux qui se sont démobilisés après le 24 janvier 2003, est accrédité par le Bureau du Haut Commissaire pour la Paix (CODA). Les deux principales exigences pour être intégrés dans le processus sont de n’avoir pas commis de crimes contre l’humanité et de ne pas avoir violé le Droit International Humanitaire. Les gens qui ont pu participer provenaient des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), l’Armée de Libération Nationale (ELN), l’Armée de Libération Populaire (EPL) et les Forces Unies d’Auto-Défense de Colombie (AUC).

À la fin de 2016, et au début de 2017, vingt-quatre Zones Transitionnelles de Normalisation furent établies dans des zones rurales à travers la Colombie afin de garantir un cessez-le-feu définitif, d’arrêter les hostilités bilatérales et de commencer le processus de réintégration. Avec la stabilisation des installations de santé, d’éducation et de production vers la mi-2017, les Zones Transitionnelles furent transformées en Espaces Territoriaux de Formation et de Réincorporation (ETCR) et elle commencèrent à être administrées par l’Agence de Réincorporation Nationale (ARN).

Dans les Espaces Territoriaux de Formation et de Réincorporation, des activités facilitèrent les phases initiales d’adaptation des anciens membres des FARC-EP dans la vie civile. Ces espaces apportèrent également l’opportunité de proposer les fonctions de gouverneurs et de maires aux populations qui y résident. Il faut noter que parce que les anciens membres des FARC-EP ont reçu l’accréditation, ils possèdent la pleine citoyenneté, bénéficient du droit de liberté de circulation, et ne sont pas obligés de vivre de façon permanente dans les ETCR.

Ces espaces furent conçus pour une durée de 24 mois, ce qui veut dire que leur statut légal transitoire allait prendre fin le 15 août 2019 ; ils pouvaient ensuite être administrés par la communauté, avec le soutien et les conseils des entités gouvernementales et des organisations internationales. La fin du processus ne signifie donc pas la disparition de ces espaces ni l’expulsion des ex-combattants et de leurs familles. Ces espaces continuant d’exister, il appartient donc à chaque famille de décider de continuer à y vivre ou bien d’émigrer vers d’autres endroits du pays.Cependant, vivre dans ces zones représente des inconvénients, tels que les dangers liés aux risques naturels, les difficultés d’accès aux routes, le manque de services publics ainsi que d’autres facteurs qui sont continuellement en train d’être résolus.

J’ai pu personnellement travailler auprès de la communauté d’anciens combattants dans l’ETCR Jaime Pardo Leal (JPL) au sein d’un projet de gestion culturelle et éducative. Cela m’a permis d’interagir avec l’équipe de l’école primaire locale ainsi qu’avec plusieurs écoles de danse et de sport. L’ETCR JPL est localisé dans le village de Colinas, dans le district d’El Capricho, dans la municipalité de San José del Guaviare, au Sud-Est de la Colombie, à la frontière de l’Amazonie. Pour s’y rendre depuis la capitale, à une distance de près de 730 km, il faut compter 13 à 16 heures de voyage.

Le rôle que la formation culturelle et éducative joue au sein d’un scénario post-conflit doit transcender les profils standardisés des citoyens réintégrés, et plutôt pour donner l’opportunité d’une résurgence des principes communautaires, en offrant la chance de penser au-delà de l’espoir. Parmi les initiatives éducatives créées au bénéfice des habitants de l’Espace Territorial on trouve des écoles élémentaires et secondaires. L’école Nouvelle Génération est localisée sur les hauteurs de l’ETCR et est dédiée à l’éducation primaire de 30 enfants de 6 à 10 ans. L’enseignant en charge est responsable d’au moins cinq niveaux d’éducation, la gestion de l’hygiène ainsi que l’alimentation des enfants.

L’établissement éducatif Crystal, localisé sur les collines du village à 40 minutes à pied des maisons des 15 jeunes qui proviennent de l’ETCR, est responsable de la formation des élèves du secondaire jusqu’à la Troisième. L’établissement dispose également d’un internat qui accueille des enfants venant de villages lointains. Les principaux soucis exprimés par les enseignants de cet établissement incluent l’aspiration des enfants et des adolescents à une vie digne, le respect de la dignité et la reconnaissance des enfants en tant que sujets sociaux.

Leur travail est coordonné avec des établissement comme l’organisation charitable Benposta et le SENA (Service d’Education National), ce qui a rendu possible le financement des micro-entreprises des jeunes ainsi que l’accès à une éducation de haute qualité et la formation aux disciplines agricoles. Grâce à cela, les jeunes peuvent se démarquer en ajoutant de nouvelles connaissances et compétences au savoir acquis à l’école.

Pour soutenir les formations extra-curriculaires, la Fondation Raíces de Mi Tierra (Racines de ma Terre) a créé une troupe de danse d’environ 20 jeunes de l’ETCR. Le groupe a pu participer à de nombreuses compétitions de danse à travers la Colombie et a reçu de nombreuses récompenses. D’autres fondations ont procuré des équipements et des infrastructures pour promouvoir des sports tels que le football et le football américain.

Ces projets illustrent la capacité de réconciliation et de réintégration existant à travers le partage d’activités lors d’évènements sportifs. Cela a aussi permis de garder les jeunes motivés en les faisant travailler plusieurs jours par semaine ainsi que les week-end.

La communauté a aussi commencé à gérer ses propres initiatives artistiques et culturelles. L’une d’entre elles est un groupe de journalisme et de communication, mené par un ancien combattant et constitué de jeunes d’autres groupes. Son dirigeant espère concentrer l’activité du groupe sur les questions environnementales afin de promouvoir des pratiques durables au sein du territoire. Le groupe a également réussi à acquérir de l’équipement audio-­visuel et photographique grâce à diverses entités gouvernementales, en lien avec son engagement de trouver des opportunités qui renforcent l’éducation des jeunes et la diffusion du savoir créé et enregistré par eux.

Les jeunes eux-mêmes ont exprimé de l’intérêt pour la création de leur propres entreprises, pour lesquelles ils ont commencé à travailler avec les équipes de la FAO qui leur offrent des formations et des ateliers sur la souveraineté alimentaire et les conseillent pour des projets sur la culture d’arbres fruitiers et de manioc dans les Espaces Territoriaux.

Pour leur part, les dirigeants des populations indigènes, également d’anciens combattants FARC, sont très intéressés par la création d’un Musée de la Mémoire Indigène. Selon eux, ceci permettra aux jeunes de connaître leur histoire et de comprendre pourquoi ils se trouvent dans un processus de réconciliation et de réincorporation.

Parmi les initiatives extérieures qui ont été reconnues par la population de l’Espace, l’International Development Design Summit (IDDS), développé en 2018, a rass­emblé des gens de différentes parties de la Colombie et du monde dans l’objectif de créer des technologies et des entreprises avec le soutien de la population locale et des membres de l’IDIN (International Development Innovation Network) comme moyen de réunir et de réconcilier des communautés en conflit.

En conclusion, nous pouvons voir que la motivation à apprendre a été mêlée à l’espoir de la population de se voir réinsérée dans la vie civile et réconciliée avec la société colombienne. Les enfants et les jeunes qui ont participé aux formations artistiques, sportives et culturelles ont montré de grandes améliorations, parce qu’ils ont été motivés par les résultats obtenus. Leur participation au sein de ces groupes a également augmenté leur sentiment d’appartenance au territoire et a augmenté les connaissances des familles en matière de droits humains, politiques, sociaux et environnementaux.

Il est remarquable que l’existence d’instruments assurant la participation et la représentation des différentes voix au sein de l’ECTR ait permis la résolution de conflits sans retour à la violence. Ceci a mené la population, par sa propre volonté, à réaffirmer son intention de rejoindre la société civile.

Glossaire

ARN : Cette entité de la Présidence de la République est dévouée à l’incitation des gens qui quittent les groupes armés illégaux à devenir des citoyens avec les droits et devoirs de chaque Colombien.

Réintégration : Un processus qui cherche à développer les capacités citoyennes et les compétences parmi les gens démobilisés. Il promeut le retour des populations démobilisées à la légalité d’une manière durable. Les personnes intégrées dans le processus de réintégration reçoivent un soutien économique et effectuent des actes de Service Social fondamentaux à la génération d’espaces propres à la réconciliation.

Réincorporation : Un processus de stabilisation socio-économique des ex-combattants qui rendent les armes dans le cadre de l’Accord Final entre l’Etat et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – Armée du Peuple (FARC-EP). Il vise à renforcer la coexistence, la réconciliation et le développement des activités productives et le tissu social dans les territoires.

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Designer industriel de l’Université nationale de Colombie, intéressé par les thèmes de l’innovation sociale, de la santé et de la durabilité. Tout au long de sa carrière universitaire et professionnelle, il a participé à des projets à vocation sociale axés sur le renforcement du soutien, de la résilience et des stratégies de développement des communautés vulnérables par le biais du design. Tout en travaillant sur le terrain, il documente ses projets par la photographie, ainsi que les lieux et les personnes impliqués.

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02
Entre anxiété et espoir
Janvier 2021
Auteur

Designer industriel de l’Université nationale de Colombie, intéressé par les thèmes de l’innovation sociale, de la santé et de la durabilité. Tout au long de sa carrière universitaire et professionnelle, il a participé à des projets à vocation sociale axés sur le renforcement du soutien, de la résilience et des stratégies de développement des communautés vulnérables par le biais du design. Tout en travaillant sur le terrain, il documente ses projets par la photographie, ainsi que les lieux et les personnes impliqués.

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