Portrait photographique collectif de la ville
De nos jours, nous documentons nos expériences de la ville de façon collective et continue sur les réseaux sociaux, créant ainsi une image virtuelle des villes.
Multiplicity porte un regard nouveau sur ce paysage photographique fait de points de focalisation et centres d’intérêts. A quoi ressemble Paris à travers l’objectif de milliers de photographes ? Quels en sont les centres névralgiques et les espaces délaissés ? Quels sont les poses et clichés les plus récurrents ? Et à quel point les photos publiées corroborent-elles votre propre idée de la ville ?
Cette installation interactive propose une immersion dans un espace-image façonné à partir de centaines de milliers de photos prises dans la ville de Paris. En employant des techniques issues du machine learning (ou apprentissage automatique), ces images ont été triées et regroupées par similitudes et par sujets, permettant une exploration visuelle de niches et micro- genres de styles photographiques.
Une attention toute particulière est portée sur des amas très denses d’images très semblables prise sur un même lieu: des récréations collectives de poses typiques – tout pareil, et pourtant différent.
Ces amas resserrés d’images quasi- identiques sont devenus pour moi, l’aspect le plus intéressant du projet. Combien de fois peut-on reprendre la même photo ? Pourtant, il faut bien reconnaître que chacune d’entre elle est légèrement différente des autres et qu’il y a un charme réconfortant certain dans la reconduction perpétuelle de rites et la redécouverte d’une idée.
Installation et Interaction
Le projet est fait d’un triptyque de trois écrans carrés de 1080 p, disposés légèrement en trapèze afin de faciliter l’immersion dans l’espace-image.
Les visiteurs peuvent parcourir le plan à l’aide d’un appareil à écran tactile et de joysticks physiques. Des annotations manuscrites aident à identifier les zones principales sur le plan. Après quelques minutes d’inactivité, l’application se met en veille et rêve de Paris.
L’image affichée permet de zoomer aisément en avant et en arrière, entre la vue initiale du cloud de photos, globale et flou, à une grille d’images en plein-écran. Ces différentes échelles permettent à la fois de comprendre les structures d’amas et de voisinages en zoom arrière, et de fournir une image nette et efficace en zoom avant.
Sélectionducontenu et traitement des données
À partir d’un échantillon de 6,2 million de photos géo-localisées publiées sur les réseaux sociaux en 2017 à Paris, nous avons fait une sélection sur mesure de 25 000 photos qui forment la base de la carte interactive.
Cette sélection comporte :
Ces images ont été analysées à l’aide de réseaux de neurones artificiels, programmés pour la classification d’images (de tensorflow avec keras). J’ai employé des vecteurs de caractéristiques, habituellement prévus à des effets de classification, pour calculer les similarités entre les images par paires. La configuration du plan a été calculée à l’aide de t-SNE – un algorithme qui optimise la disposition 2D pour que les images similaires soient proches les unes des autres.
Stratégie de disposition visuelle
Relier la vue globale nébuleuse et la vue détaillée de la grille a été un défi très intéressant. Après plusieurs échecs, voici la solution que j’ai trouvée :
Cet ensemble de stratégies assure une réduction au maximum des changements de pixels entre différentes transitions, permettant ainsi un zoom fluide et régulier.
Visualisation sans données
En guise de remarque finale, j’ajouterai que mon intention a été non pas de mesurer la ville mais d’en dresser le portrait, avec des contenus de réseaux sociaux comme matière première. Plutôt qu’une approche statistique, le projet offre une stimulante composition de contenu qualitatif, prête à être explorée et interprétée – composition sciemment préparée et prédisposée mais pas pré-interprétée.
En même temps, les données ont joué un rôle crucial dans l’agencement des contenus de façon à ce qu’ils puissent être assimilés par les humains. Comment sinon ferait-on pour parcourir et rassembler des centaines de milliers d’images en un ensemble cohérent ?
Les données ont ainsi servi de véhicule dans la conception et l’expérience du projet sans en être ni l’objet ni le but de l’expérience de visualisation.
L’interaction entre l’analyse automatique, l’inspection des résultats – c’est à dire, ce que suggère et conclut la machine – et mes propres actions (en termes de configuration, sélection de contenus, réglages…) a été quelque chose de passionnant à explorer.
La présence des annotations manuscrites sur la carte est comme un clin d’œil à mon intervention en tant qu’acteur et créateur subjectif de sens.
Le rendu final est le résultat des dialogues tenus entre la ville et moi, entre les contenus visuels et les algorithmes, qui ont été pour moi une source d’étonnement et d’inspiration tout au long du processus.
Multiplicity est une œuvre commandée par la Fondation EDF, Paris à l’occasion de l’exposition 123 data.
Multiplicity fait partie d’une série de recherches menées par Moritz Stefaner sur les images numériques des villes du monde :
Stadtbilder explore les différentes strates numériques d’une ville, au-delà de l’infrastructure physique.
Selfiecity se penche sur le phénomène du selfie et vise, entre autres, à identifier des styles uniques d’autoportraits photographiques à travers différentes villes.
On Broadway commence avec une seule rue, et empile toutes sortes de données quantitatives et qualitatives les unes sur les autres.
Un « opérateur vérité et beauté » au carrefour de la visualisation de données, de l’esthétique de l’information et de la conception d’interfaces utilisateurs. Avec une formation en sciences cognitives et en conception d’interfaces, son travail concilie les aspects analytiques et esthétiques dans la cartographie de phénomènes abstraits et complexes.
Un « opérateur vérité et beauté » au carrefour de la visualisation de données, de l’esthétique de l’information et de la conception d’interfaces utilisateurs. Avec une formation en sciences cognitives et en conception d’interfaces, son travail concilie les aspects analytiques et esthétiques dans la cartographie de phénomènes abstraits et complexes.