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Utiliser la technologie et la culture pour apporter un nouvel espoir dans une ère d’anxiété
Edward Cheng
Vice-Président de Tencent
La technologie peut apporter un réconfort et donner de l'espoir dans les périodes de crise et d'anxiété. Edward Cheng, vice-président de Tencent, donne des exemples de la manière dont les initiatives du monde numérique peuvent aider en ces temps difficiles.
Dunhuang, dynastie Yuan

Nous traversons actuellement des crises mondiales sans précédent, dont la pandémie de COVID-19 et de violents conflits à travers le globe. Les images de rues désertes, de musées et de cinémas abandonnés jadis réservées aux films de science-­fiction, sont désormais devenues partie intégrante de notre mémoire collective. La distanciation sociale nous prive de contact physique. Au plus fort de la pandémie, près de 1,5 milliard d’enfants ont vu leur scolarisation interrompue. Les psychologues nous avertissent qu’il sera possiblement plus difficile de combattre la détresse morale causée par la crise de la COVID que le virus lui-même.

Alors que les liens physiques propres au monde hors ligne sont brisés, les liens virtuels du monde connecté se renouvellent chaque jour. Le monde se numérise de façon exponentielle. Le divertissement en ligne, le télétravail, l’enseignement à distance, la téléconsultation médicale et bien d’autres pratiques sont en train d’apporter de profondes modifications à nos modes de vie. Face à l’incertitude et l’anxiété, la culture dotée de technologie et renforcée par celle-ci pourrait s’avérer être le meilleur remède. Pendant le confinement, nous avons pu voir circuler des vidéos de musiciens célèbres performant bénévolement pour les citoyens du net à travers le monde, ainsi que des images de gens ordinaires, isolés dans leur domicile, se pencher aux fenêtres et balcons pour scander des chansons et jouer de la musique avec tout le quartier, créant une vague de chaleur apportant réconfort et inspiration à plus d’une âme. Ces événements nous donnent foi dans le potentiel d’une convergence de la technologie et de la culture pour apporter un nouvel espoir à l’humanité en ces temps angoissants.

En tant que vice-président de Tencent, je souhaite ici illustrer mon propos avec quelques anecdotes issues de l’initiative Neo-Culture Creativity de Tencent.

Situé au Nord-ouest de la Chine, le village de Dunhuang constituait une étape isolée mais incontournable sur la route de la soie qui est aujourd’hui mondialement connue pour ses grottes et peintures murales. Au cours de la pandémie de ­COVID-19, Tencent et l’Académie de Recherche de Dunhuang ont lancé un mini-programme nommé Mogao Caves Cloud Museum. Au moyen de WeChat et QQ, deux médias sociaux qui comptent respectivement 1,2 milliard et 647 millions d’usagers actifs quotidiens, le Mogao Caves Cloud Museum offre la possibilité à chacun de faire l’expérience immersive de ce charmant village historique sans quitter son domicile.

Le Mogao Caves Cloud Museum est bien plus qu’un musée numérique. Il propose d’intégrer Dunhuang dans la vie quotidienne des usagers. Ainsi les usagers reçoivent par exemple une numérisation par jour de peinture murale et de la fable bouddhiste représentée. Dunhuang Animation, une des fonctions de l’application, développe des personnages tirés d’images trouvées dans les grottes de Dunhuang, et permet aux usagers de choisir leur fable et personnage préférés et de leur donner vie en réalisant des doublages de voix – que ce soit seul ou avec le concours de leurs proches – qu’ils peuvent enregistrer et partager sur les réseaux sociaux. J’ai pour ma part joué dans un épisode le rôle d’un « conteur ». Je racontais une fable morale sur le bien et le mal qui enseignait l’importance de la bonté et de la réceptivité aux bons conseils.

Mogao Caves Cloud Museum, Tencent

Les réseaux sociaux ont contribué à faire découvrir le Mogao Caves Cloud Museum à un grand nombre de personnes. Jusqu’à présent, l’application compte plus de 21 millions de visiteurs. Les artisans ayant créé les peintures murales de Dunhuang il y a des milliers d’années n’auraient jamais pu imaginer que leur travail soit un jour offert au monde de cette façon.

Les réseaux sociaux sont une forme hybride qui n’a pas d’antécédent dans l’histoire des hommes. C’est à la fois un outil de communication interpersonnelle et une plateforme de communication de masse –et ces deux versants se renforcent mutuellement. Les réseaux sociaux ont permis, entre autres, à la culture traditionnelle d’atteindre un plus large public. La culture traditionnelle trouve en la puissance de la technologie un véhicule pour exercer son influence remarquable et réciproquement, l’esthétique traditionnelle fournit un soutien sur lequel l’esprit contemporain peut s’appuyer afin de produire de nouvelles interprétations.

Pendant la pandémie, Tencent a mis en ligne une série télévisée à succès, Qing Yu Nian (titre international : Joy of Life), qui a diverti de nombreuses familles chinoises lorsque les gens étaient contraints de rester à la maison et a été regardée plus de 16 milliards de fois. L’histoire se déroule en Chine ancienne et suit Fan Xian, un adolescent ordinaire qui habite avec sa grand-mère dans un petit village sur le littoral. Animé par le besoin de connaître l’histoire de ses parents, il part pour la capitale où il parvient à se construire une vie. Malgré les épreuves et la souffrance, il n’a jamais abandonné son sens profond de justice et de bonté. Effectivement, lorsque Joy of Life s’est vu adapté à l’écran auprès d’e-roman de Mao Ni, la série a introduit l’histoire à un public beaucoup plus large et a attiré des gens qui n’auraient peut être jamais lu le roman ou la sérialisation en ligne.

Qui plus est, cette transformation du roman numérique en vidéo a incontestablement enrichi et diversifié l’œuvre. Ce roman archaïque et écrit de façon plutôt légère, incarne précisément un ethos culturel que la société chinoise a de tout temps respecté et valorisé. L’esprit idéaliste qu’incarne Fan n’est ni obséquieux ni arrogant. C’est un esprit célébré par les intellectuels chinois à travers les siècles qui est représenté dans Joy of Life et qui aujourd’hui résonne si fortement auprès de la jeunesse. Cet exemple démontre qu’en les adaptant aux nouveaux médias de diffusion, les récits et légendes classiques que nous chérissons tant peuvent atteindre de nouveaux publics, créant ainsi une nouvelle expérience qui résonne par les mêmes valeurs ­intemporelles.

Exposition Art et technologie, novembre 2020, siège de Tencent, Pékin

Les jeux vidéos figurent aujourd’hui parmi les médias les plus populaires auprès des jeunes Chinois. L’industrie chinoise du jeux vidéo a connu un essor fulgurant au cours des dix dernières années, passant de 100 millions de gamers à plus de 600 millions. Auparavant à la marge, le jeu vidéo en tant que vecteur de lien social et produit de consommation culturelle occupe aujourd’hui une place centrale dans la vie culturelle. En tant que première entreprise de jeux vidéo au monde, Tencent a pour ambition d’assurer que les jeux vidéo soient des vecteurs d’influences positives dans la vie de chacun. Je souhaite citer ici un exemple.

En juillet 2020, Tencent a sorti la dernière version de son jeu à succès Honor of Kings, « San Fen Zhi Di », qui se base sur les récits de la période des Trois Royaumes en Chine ancienne, entre 220 et 280 après Jésus Christ. Les histoires et personnages historiques des royaumes Wei, Shu et Wu sont connus de tous en Chine et en Asie de l’Est. Ils ont été adaptés à l’écrit il y a environ 600 ans par Luo Guanzhong dans l’œuvre Les Trois Royaumes, l’un des chefs-d’œuvres de la littérature classique chinoise.

Avec l’aide d’un groupe d’experts invités par l’équipe de développement, « San Fen Zhi Di » tente de présenter cette histoire d’une façon alternative. Les développeurs y ont intégré des éléments historiques aussi bien du système politique de la période des Trois Royaumes que des modes de vie de gens, des situations géographiques, de l’urbanisme, des sciences humaines, de l’esthétique et d’autres aspects de l’époque afin de s’assurer que chaque détail du jeu soit fidèle à la réalité historique.

Exposition Art et technologie, novembre 2020, siège de Tencent, Pékin

Au sein de ce groupe d’experts se trouvait Ge Jianxiong, historien et professeur émérite en Arts libéraux à l’université Fudan de Shanghai. Ge disait que « les jeux doivent rester fidèles aux valeurs historiques, sans être limités par les faits historiques ». Selon lui, le jeu doit avant tout être stimulant et divertissant. En ce qui concerne le lien entre le jeu et l’histoire culturelle, il est important d’allouer une marge de fantaisie par rapport aux récits et personnages historiques ; il faut justement que les jeux vidéos se servent de la capacité des technologies à créer des scènes et histoires virtuelles qui n’existent que dans l’imaginaire pour stimuler et inspirer le public. L’interprétation de l’histoire dans « San Fen Zhi Di » a été particulièrement appréciée par les gamers. Là encore, la culture traditionnelle a gagné un immense public de jeunes à travers le nouveau média qu’est le jeu vidéo.

Comment mieux comprendre les jeunes ? Comment les rapprocher de la culture traditionnelle ? Soulevées et débattues en profondeur au cours des dernières années, ces questions prouvent bien que les différences culturelles intergénérationnelles sont à l’heure actuelle un des enjeux majeurs en Chine. La société chinoise traverse un bouleversement transformateur qui se déroule à toute vitesse. Les personnes nées dans les années 70 et 80 ont grandi dans un monde avec un accès limité à la télévision ; leurs enfants quant à eux, appartiennent à l’ère d’internet.

L’anthropologue américaine Margaret Mead a proposé le concept de culture post-figurative qui suggère que les développements rapides dans les secteurs de la communication, du transport et de la technologie ont libéré le flux des connaissances des contraintes du temps et de l’espace. Les anciennes générations doivent apprendre des plus jeunes, afin de construire un futur viable. C’est un aspect essentiel de l’ère d’internet qui représente autant une opportunité qu’un véritable défi.

Avec la stratégie de l’initiative Neo-Culture Creativity de Tencent, nous avons pu voir de multiples exemples dans le genre, qui prouvent que les grands récits culturels peuvent transcender les frontières géographiques, temporelles et générationnelles. La culture traditionnelle peut même en arriver à devenir « cool ». La clef est d’apprendre à employer la technologie de façon inventive afin que la technologie et la culture puissent s’enrichir et se renforcer mutuellement.

Tel que l’a décrit le rapport 2019 des Tendances dans l’Industrie de la Culture Numérique, publié par Tencent aux côtés d’autres institutions de recherche chinoises, l’industrie numérique culturelle chinoise a prospéré au cours des dernières années. La numérisation est devenue une force motrice pour le développement économique et social ; l’industrie culturelle numérique est ainsi une partie essentielle de l’économie du numérique et joue un rôle de plus en plus important dans sa croissance.

Historiquement, la technologie et la culture n’ont jamais été dans des camps adverses. Il n’y a que la culture qui puisse donner un sens nouveau à la science et la technologie, et ainsi motiver la créativité et la transmission. Il n’y a que l’association entre la technologie et la culture qui puisse mener à un monde harmonieux qui respecte la dignité humaine.

Il se peut que le monde soit actuellement en train de traverser la plus dure épreuve du siècle. De tout temps, les pandémies et les guerres ont engendré de nouveaux commencements pour l’humanité. Il est impossible de revenir à l’état d’avant, mais cela ne veut pas dire que le repli soit nécessaire. T. S. Eliot disait : « L’espoir de préserver la culture de n’importe quel pays réside dans sa communication avec celle des autres ». La culture est vouée au progrès par la science et la technologie, annihilant ainsi les contraintes du temps et de l’espace, créant un nouvel espoir pour l’humanité et guidant le monde vers un futur meilleur.

Edward Cheng est le vice-président de Tencent, le directeur général de China Literature Limited et de Tencent Pictures. En 2018, il a proposé la nouvelle idée stratégique de “Neo-Culture Creativity” sur la base de la stratégie “Pan-Entertainment”, consacrée à la promotion mutuelle de la valeur culturelle et de la valeur industrielle, afin de créer davantage de symboles culturels chinois. Edward Cheng est diplômé de l’université de Tsinghua, où il a obtenu une licence en physique. Il a également obtenu un EMBA à l’Olin School of Business de l’université de Washington.

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02
Entre anxiété et espoir
Janvier 2021
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Edward Cheng est le vice-président de Tencent, le directeur général de China Literature Limited et de Tencent Pictures. En 2018, il a proposé la nouvelle idée stratégique de “Neo-Culture Creativity” sur la base de la stratégie “Pan-Entertainment”, consacrée à la promotion mutuelle de la valeur culturelle et de la valeur industrielle, afin de créer davantage de symboles culturels chinois. Edward Cheng est diplômé de l’université de Tsinghua, où il a obtenu une licence en physique. Il a également obtenu un EMBA à l’Olin School of Business de l’université de Washington.

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