Entre anxiété et espoir, le 11 mai, 2020, je suis enfin retournée dehors, dans ces rues et lieux parisiens désertés depuis huit semaines. Comme certainement un grand nombre d’humains réintégrant leur environnement, si familier dans le monde d’avant, j’ai été heurtée par la vision de tous ces hommes, ces femmes et ces enfants masqués de tissu chirurgical et gantés de latex. J’ai été désarçonnée par la présence des parois de protection en plastique transparent, pourtant bien nécessaires pour nous protéger, dans les voitures, les magasins, les lieux publics.

J’ai constaté que le monde était dorénavant masqué, en attendant un dénouement futur que personne n’avait encore les moyens de prévoir.

Entre anxiété et espoir, nous sommes entrés dans un univers incertain et inconnu de tous, où nous ne pouvons plus voir le sourire de l’autre, le toucher, et encore moins l’étreindre. À la distance physique s’ajoute la distance humaine car nos regards ne suffisent pas à restituer ce que nos visages, s’ils n’étaient camouflés, diraient. Notre spontanéité ne s’exprime que par nos yeux et nos voix. À ce triste constat s’ajoute le désarroi généralisé, la confusion des médias, l’impermanence de la vérité, la sensation que les informations sont, tout comme nous, tristement masquées. La peur et l’incertitude sont nos nouvelles compagnes de route, nos esprits sont perdus.

Entre anxiété et espoir, pour ramener de la vie dans ma vie et retrouver mes esprits, je me suis réfugiée dans mes images. J’ai ressenti l’urgence d’exorciser la vision de toutes ces bouches invisibles, de ces peaux masquées, de ces mentons corsetés, et de ces corps abrités. Puisque je ne pouvais pas m’y soustraire, j’ai opéré à la transgression de ce nouvel environnement. Au lieu de m’y perdre, j’ai décidé de lui donner un sens, en reconquérant d’autres fonctions, primordiales, du masque : j’allais chercher celle qui permet le rêve, la projection, le mystère. Celle qui cache et qui révèle, qui représente, qui questionne, qui transforme. Celle qui ritualise, celle qui va chercher les esprits protecteurs, engrosse nos rires, propage la joie ou accompagne nos danses, nos vénérations et nos espoirs.

Je suis partie explorer un autre Monde Masqué, en célébrant ces masques qui nous accompagnent depuis la nuit des temps. Me laissant guider par des images et des symboles qui vagabondaient dans ma tête, sans doute semés par nos ancêtres, j’ai eu envie de revêtir les atours d’un cerf pour rappeler au destin que nous allons reconquérir la fertilité de nos corps et de nos esprits, de me peindre en noir pour faire le deuil provisoire de ma liberté de gestes, de me couvrir de fleurs pour demander au printemps de revenir sur terre. J’ai mis de la couleur sur ma peau pour célébrer toutes les couleurs de l’humain. J’ai lutté contre la pollution en me masquant de fumée, emprunté la couleur de la mer des Caraïbes pour capturer l’énergie de l’océan dans mon filet, bougé comme un oiseau métissé en rassemblant mon plus beau plumage.

De jour en jour, comme un rite de passage, j’ai laissé le masque me dicter ses images et fait corps avec l’anxiété pour la transformer en espoir. Ainsi, j’espère, je le transmets à celui qui regarde.

Bienvenue dans mon Monde Masqué.