/ HAS MAGAZINE
Histoires à raconter
Sarah Nesbitt
Artiste et conférencière en Arts Appliqués à l'université du Michigan-Dearborn
Dans Stories To Tell, Sarah Nesbitt met en valeur des artistes oubliés, allant à l'encontre de la culture dominante encline à la reconnaissance officielle reflétée dans le discours endossé de l'histoire de l'art.

Nous vivons à une époque où l’Histoire est en pleine reconstruction et où l’on confond bien trop souvent opinions et vérités scientifiques. Pour cette raison, il est important de savoir ce que constitue une information fiable et avérée.

Interrogeant cet écart entre le vrai et le fictif, mes recherches portent sur les thèmes du vol, du plagiat, ou de la contrefaçon d’œuvres d’art ainsi que sur la mémoire, la censure, les œuvres attribuées à tort et les mécanismes d’écriture et de réécriture de l’Histoire. Mon but est de sensibiliser plus largement les gens aux lacunes inhérentes à tout document ou représentation historique afin que les gens puissent y voir non pas une narration arrêtée, définitive, figée dans le temps à intégrer passivement mais bien un outil d’engagement vivant, autrement dit, une enquête active sur ce qui fut, un effort constant pour atteindre la vérité. Avec mon dernier projet, Stories to Tell (Des histoires à raconter) j’ai voulu mettre en évidence la manière dont de nombreux artistes ont pu être évincés de l’histoire de l’art, laissant ainsi d’autres artistes, correspondant plus à l’archétype de l’artiste blanc, masculin, Européen, profiter d’une plus grande part d’attention, de temps, d’espace et de reconnaissance. En mettant en lumière ces artistes exclus, j’essaie de dresser un panorama plus juste, plus représentatif, et une appréciation plus honnête de l’histoire de l’art.

Texte à droite de l’image : Dans un accès de rage, l’artiste Diego Riviera l’a prise à la gorge et l’a serrée fort : “Je ne sais pas comment, mais j’étais certain que l’enfant (le leur) et moi le dérangions, soit dans son travail, soit dans quelque aventure amoureuse” Et quand leur fille s’est mise à pleurer, il a lâché Marevna et lui a dit : “Elle t’a sauvé”.
Sarah Nesbitt
Marevna Vorobëv’s Story
Impression jet d’encre pigmentée sur toile, cadre artisanal, ficelle cirée, punaises coupées.
2021

Stories To Tell est une série de récits, imprimés sur des toiles, d’artistes qui ont eu à affronter une certaine adversité et qui ont persévéré dans leur art malgré cela. J’adore parler de ce projet. Il est né dans les classes d’histoire de l’art où j’enseignais et où j’ai découvert que le monde de l’histoire de l’art a une fâcheuse tendance à exclure des artistes en raison de leur genre, race, culture, origine ou classe sociale. Je rencontrais beaucoup de difficultés à trouver des manuels d’histoire de l’art qui restituaient la juste diversité de la communauté artistique avec suffisamment de réalisme. En réaction, je me suis mise à parler à mes élèves d’artistes qui jouissaient de moins de notoriété que leurs collègues hommes, blancs, Européens. Il me semble que le partage et la découverte de ce genre d’histoires peuvent permettre au public de se relier aux artistes en question, et ce en dépit de l’époque dans laquelle ils ont vécu et œuvré. Ce projet est pour moi une manière de faire exister ces récits d’adversité, de persévérance et de motivation en dehors des salles de classe et de les amener jusqu’au grand public. Faire la lumière sur les artistes marginalisés tout au long de l’histoire permet non seulement de réhabiliter et revaloriser des artistes oubliés – que ce soit d’une époque passée ou présente – mais nous apprend et nous encourage aussi à savoir produire et exiger des représentations plus justes de nos propres histoires.

Texte à gauche de l’image : Parmi ses étudiants figuraient les artistes Jacob Lawrence, Norman Levis et Gwendolyn Knight. Un autre étudiant était le psychologue Kenneth Clark, dont les recherches ultérieures ont contribué à la décision de la Cour suprême de 1954 dans l’affaire Brown v. Board of Education.
Sarah Nesbitt
Augusta Savage’s Story (1)
Impression jet d’encre pigmentée sur toile, cadre artisanal, ficelle cirée, punaises coupées.
2021

Ces histoires sont des récits aussi bien d’espoir que de frustration. Elles nous proviennent d’individus racontant leurs propres vies, ou de personnes réhabilitant l’histoire d’autres et racontent des vies d’artistes visuelles féminine et/ou membres de la communauté LGBTQIA+. Songez un instant à la quantité de récits issus d’autres milieux ou minorités, qui ont aussi pu être réduits au silence à cause de traumatismes, de sentiments de honte, de peur ou de deuil.

Les récits ne sont pas des exagérations. Ils ne doivent surtout pas être interprétés comme la simple description du monde de l’art tel qu’il doit être accepté. Nous devons faire mieux que ça, nous devons nous sentir relier à ce que ces personnes ont injustement enduré. La vision romantique de l’âme du poète maudit, de l’artiste vivant dans la pauvreté, la dépravation et le mépris est un stéréotype pernicieux. Il réduit l’importance et l’influence fondamentales des arts dans notre vie de tous les jours, dans la manière dont nous percevons le monde et dans la façon dont nous interagissons les uns avec les autres. C’est aussi d’une certaine façon, un manque de respect vis-à-vis des artistes. J’ai pour ma part eu plusieurs fois à faire à des gens qui en apprenant que j’étais artiste, me regardaient de haut et je sais que cela est dû en partie à ce stéréotype néfaste.

Texte à gauche de l’image : Meurent est décédée en 1927. Après la mort de sa compagne, Marie Dufour, en 1930, le contenu de leur maison a été brûlé dans un feu de joie, y compris les œuvres de Meurent.
Sarah Nesbitt
Victorine Meurent’s Story
Impression jet d’encre pigmentée sur toile, cadre artisanal, ficelle cirée, punaises coupées.
2021

Avec du fil de reliure ciré et des cadres de récupération, j’ai tenté de montrer combien ces artistes oubliés ont pu être proches d’une vraie notoriété. Ce fil ciré est le même qui est utilisé pour la reliure des manuels qui enseignent la « grande » histoire de l’art aux élèves scolaires. Les cadres de récupération symbolisent les façons dont ces artistes ont pu être écartés au profit de ceux qui rentraient dans la case de l’artiste homme blanc et européen.

Des informations sur l’œuvre de l’artiste présentée sur la face avant sont localisées sur la face arrière. Chaque récit est le fruit d’une recherche exhaustive et les sources sont également citées à l’arrière du cadre.

Texte à gauche : Vorobëv, Marevna. Traduit par Benet Nash.
La vie dans deux mondes.
Londres : Abelard-Schuman. 1962. p. 253

Texte à droite : Marevna Vorobëv
Portrait de Marika, la fille de l’artiste (1919-2010)
Huile sur toile
Année inconnue

Sarah Nesbitt
Texte à gauche : Augusta Savage
Lenore
Plâtre peint
1935

Texte à droite : Wintz, Cary D. et Paul Finkelman.
Encyclopédie de la Renaissance de Harlem Volume 2 K-Y.
New York : Routledge. 2012. p.1100

Sarah Nesbitt

Texte à gauche : Summers, Claude J.
L’encyclopédie queer des arts visuels.
Cleis Press. 2004.

Texte à droite : Victorine Meurent
Autoportrait
Huile sur toile
1876

Sarah Nesbitt

Je refuse d’accepter qu’on invoque le prétexte du « talent » ou « génie » pour justifier l’adoration de ceux qui oppriment d’autres. Dans ce projet, j’ai sciemment critiqué, sinon exclu, les artistes ayant œuvré pour empêcher d’autres artistes d’atteindre leur plein potentiel. Et ce en dépit du fait qu’ils aient pu être une source d’inspiration pour moi avant que je ne fasse ces recherches. Ces découvertes et ces apprentissages sont pour moi l’occasion d’orienter mon admiration vers le travail d’artistes qui ne feraient pas partie du camp des oppresseurs. Nous ferions mieux de soustraire notre admiration aux personnes que le pouvoir a corrompu jusqu’au point de les pousser à exploiter les autres en raison de leur race, genre ou sexualité.

Sarah Nesbitt est née à Syracuse, dans l’État de New York, et a obtenu un MFA en photographie à l’Université d’État de Pennsylvanie et un BFA en photographie et dessin à l’Université d’État de New York à Oswego. Elle s’intéresse à l’étude de l’utilisation et de la perception de l’histoire, ainsi qu’à l’importance des actions et des comportements des gens vis-à-vis des informations qu’ils ont acquises.

Son travail a été présenté dans des publications telles que le Washington Post, Hyperallergic, la troisième édition de The Book of Alternative Photographic Processes (Cengage Learning Press), Photographer’s Forum, Detroit Metro Times, Meanings and Makings of Queer Dance (Oxford University Press), et Theatre Topics (John Hopkins University Press).

 

www.sarahnesbitt.com

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04
Engagement et contemplation
JANVIER 2022
Auteur

Sarah Nesbitt est née à Syracuse, dans l’État de New York, et a obtenu un MFA en photographie à l’Université d’État de Pennsylvanie et un BFA en photographie et dessin à l’Université d’État de New York à Oswego. Elle s’intéresse à l’étude de l’utilisation et de la perception de l’histoire, ainsi qu’à l’importance des actions et des comportements des gens vis-à-vis des informations qu’ils ont acquises.

Son travail a été présenté dans des publications telles que le Washington Post, Hyperallergic, la troisième édition de The Book of Alternative Photographic Processes (Cengage Learning Press), Photographer’s Forum, Detroit Metro Times, Meanings and Makings of Queer Dance (Oxford University Press), et Theatre Topics (John Hopkins University Press).

 

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