Ces extraits sont tirés d’une Lila près du village de Tameslouht ou Julien Colardelle est invité par le maalem Aziz à assister et filmer durant la cérémonie.
Point de départ de la cérémonie, à l’extérieur de la maison d’accueil : procession à la lumière des bougies,
tambours battant, aspersion à l’eau de rose. Le plateau comprenant encens et étoffes aux sept couleurs est
déposé au pied du groupe de gnaouas réunis autour de Aziz, le maalem. Ils entament la première série des
chants correspondant a l’invocation des septs familles spiriuelles.
extrain 1 : Entrée rituelle, Julien Colardelle
Dans les rues de Marrakech, au Maroc, les gémissements mélodieux d’un homme arborant une robe de couleur vive peuvent être entendus en dépit de la clameur métallique de sept autres hommes se tenant à ses côtés, eux aussi en robes colorées, jouant chacun du qraqreb – un instrument de type cymbale, lourd mais pas plus grand qu’une main – contre leur poitrine. Le pouce de l’homme tape (et non gratte) les cordes d’une guitare rectangulaire appelée hajhuj tandis que ses autres doigts se replient et frappent fermement la base en bois recouverte de peau de chameau, entraînant le chant, les qraqrebs, et la guitare dans son orbite percutante. C’est un travail de tous les jours pour ces musiciens et d’autres groupes semblables trouvés sur les avenues de cette ville tentaculaire, captivant à la fois touristes et locaux.
À l’ouest de Marrakech, les plus influents de ces musiciens connus sous le nom de Gnawa se rassemblent chaque année lors du Festival Ganoua Musiques du Monde, où des visiteurs du monde entier viennent les regarder jouer. Si beaucoup de compositions originales sont jouées, la plupart sont des improvisations sur des chansons populaires datant d’il y a des siècles, infusées aujourd’hui de genres contemporains dont le jazz, la pop, le reggae et le blues. La langue utilisée dans ces chansons, inintelligible à la grande majorité du public, est un vecteur de leur histoire – un mélange d’arabe et de dialectes berbères, entrelacés d’expressions indigènes d’Afrique de l’Ouest. Depuis l’époque de la première invasion d’Afrique de l’Ouest par la dynastie marocaine saadienne au XVIe siècle, la compréhension de la langue s’est perdue, même par les musiciens eux-mêmes, à cause de la prédominance des dialectes arabes. Mais à travers des mots comme « Bambara », « Hausa » et « Fulani » qui apparaissent souvent dans les paroles des chansons, faisant référence au passé historique, et grâce au travail d’éminents chercheurs Gnaoua tels que Chouki El Hamel et Deborah Kapchan, une nouvelle part de l’histoire du Gnaoua a été découverte.
Si les Gnaoua sont maintenant reconnus mondialement pour leur musique, utilisée lors de leur rituel de possession et de trance appelé lila (littéralement, « nuit », ces rituels ayant d’abord eu lieu la nuit), les Gnaoua ont jadis chanté de manière précaire, entre l’esclavage et l’affranchissement suivant les caprices des dirigeants marocains depuis l’invasion de l’empire songhaï, par les saadiens. Mais l’histoire des Gnaoua n’est pas qu’une question de conquête et de soumission. Outre leur histoire plus ou moins « objective », nous avons découvert le rôle complexe joué par la migration forcée dans la transformation des communautés, à l’intersection entre la culture et la géographie. Les pratiques culturelles, spirituelles et politiques d’un peuple ne se perdent pas subitement tandis qu’il s’adapte à une nouvelle géographie. Dans le cas des Gnaoua, leurs pratiques ont été au contraire augmentées par l’expansion libre de l’Islam en Afrique de l’Ouest avant l’invasion marocaine, puis transformées – mais pas disloquées – par leurs migrations forcées au Maroc.
Le récit historique officiel des Gnaoua indique qu’ils sont devenus un bloc homogène au Maroc au XVIIe siècle, quand le sultan Moulay Ismaïl édicta la remise en esclavage de tous les Noirs africains au sein du Maroc. Si c’est au sein des frontières marocaines que le syncrétisme entre l’Islam et les religions traditionnelles africaines s’est transformé en structure religieuse unique, les origines des Gnaoua n’a pas commencé au Maroc mais en Afrique de l’Ouest, où l’Islam prenait déjà racine.
L’introduction de l’Islam en Afrique de l’Ouest a connu des débuts moins hostiles. Autour du VIIe siècle, avec l’établissement des arabes musulmans en Afrique du Nord, un contact est établi avec les marchands berbères qui ont ensuite consolidés leur position d’intermédiaires dans le commerce et les échanges religieux avec l’Afrique subsaharienne. Au VIIIe siècle, les marchands arabes musulmans établirent un centre commercial dans le Soudan actuel, où l’expansion de l’Islam est devenue beaucoup plus directe. Tandis que l’élite politique d’Afrique de l’Ouest a accepté plus volontiers la religion islamique apportée par le commerce trans-saharien, les gens du peuples se sont accrochés à leurs pratiques religieuses traditionnelles quand l’Islam n’était pas strictement imposé par les dirigeants, menant à un syncrétisme religieux plutôt qu’à une assimilation.
À l’instar des religions africaines traditionnelles, les Gnaoua croient que le pouvoir ultime – c’est-à-dire Allah – ne peut pas être atteint directement[i]. Les affaires spirituelles doivent plutôt être conduites à travers des esprits ancestraux, ou Mluk (singulier : Mlek) – hérités à la fois des divinités africaines traditionnelles et de figures abrahamitiques et coraniques – et représentés par une des sept couleurs de la théologie Gnaoua. Parce qu’ils croient qu’un ou plusieurs Mluk choisira et habitera un Gnaoui de manière permanente, les Mluk doivent être régulièrement apaisés à travers le rituel lila, au risque de s’exposer à la maladie et aux infortunes. C’est une théologie ancrée dans la spiritualité ouest-africaine. Comme le rappelle Apeike Umolu dans son cours An Introduction to African Religions[ii], la philosophie africaine subsaharienne traditionnelle soutient que les ancêtres peuvent et ont un impact positif ou négatif sur les vies des individus et le sort de la communauté. Les ancêtres doivent être régulièrement et perpétuellement honorés de génération en génération pour prévenir l’infortune – c’est ainsi une pratique de conservation culturelle et de conservation de soi. On trouve ce panthéon d’esprits ancestraux à la fois dans la théologie Gnaoua et dans les religions ouest-africaines traditionnelles comme le vaudou, avec des caractéristiques similaires. Et continuant à élucider les racines ouest-africaines de la théologie Gnaoua, le souverain de tous les Mlek dans le panthéon Gnaoua est Sidi Mimoun, représenté par la couleur noire.
Dans le lila, le Gnaoui possédé, habillé de la couleur des Mluk, sera guidé dans une trance par la musique. Le M’allem, ou maître, (venant de Malam, un savant ou professeur islamique), mène le hajhuj et jusqu’à sept autres hommes Gnaoua jouent du qraqreb. Chaque Mlek a une collection de chansons qui lui sont dédiées, et le Gnaoui en transe est soutenu physiquement et émotionnellement par une mqaddema, généralement une femme passée maître dans l’apaisement de ses Mluk. Le Gnaoui possédé commence alors à faire la démonstration des caractéristiques de ses Mluk. Par exemple, certains Gnaoua ont été vus en train de faire des mouvements de nage possédés par Sidi Musa, un Mluk établi à partir de Moïse, le célèbre personnage biblique-coranique qui a ouvert la Mer Rouge[iii] .
extrait 2: Les Blancs et les Verts , Julien Colardelle
Étant donné la position périlleuse des Gnaoua au sein de la société marocaine, la spiritualité est devenue pour eux une puissante force de préservation. Tandis que dans les sociétés africaines traditionnelles, le pouvoir politique se regroupe autour des fondations spirituelles du peuple, les Gnaoua, une fois arrivés au Maroc, ont trouvé des structures similaires pour leur nouvelle pratique synthétique dans les confréries islamiques-soufis d’Afrique du Nord. Les confréries islamiques-soufis ont un point commun clé avec la religion traditionnelle africaine – leur structure s’organise autour de la vénération des ancêtres et des saints patrons – permettant aux Gnaoua de conserver une part importante de leur identité ouest-africaine dans une société étrangère et hostile. Les Gnaoua n’ont pas seulement trouvé chez les confréries islamiques-soufis un cadre dans lequel poursuivre leur pratique – ils ont également influencé et transformé en profondeur les structures et les pratiques de ces confréries originellement non-ouest-africaines.
On retrouve l’utilisation d’instruments pour faire appel aux esprits lors des rituels de possession-transe dans les confréries ‘Isawiyya et Hamdushiyya, le résultat d’une influence directe des Gnaoua. Un exemple plus spécifique de l’influence des Gnaoua se retrouve dans « la croyance Isawa en au moins cinq esprits noirs, et dans le fait que le roi de leurs jinns est également noir et s’appelle al-Gnawi. » De manière similaire, la confrérie Hamdushiyya « est associée à une femme-esprit noire (jinniyya), Gnawiyya Lalla ‘Aisha,[iv] », que l’on retrouve dans le panthéon Gnaoua sous le nom d’Aisha Qandisha.
Comme nous pouvons le voir, plutôt que de succomber à l’effacement historique et à l’extinction culturelle par la migration forcée, les Africains de l’Ouest faits prisonniers et intégrés au Maroc ont réussi à préserver leur cadre spirituel le plus fondamental, synthétisant et transformant les éléments trouvés au-delà des frontières géographiques, culturelles et politiques.
Mais, comme nous en avons fait allusion ci-dessus, les Gnaoua ne trouvent pas leur origine au Maroc. S’il reste encore des recherches à entreprendre sur les origines spécifiques des Gnaoua, la croyance en un panthéon et une habitation permanente par un esprit, l’utilisation de la musique dans la possession-transe, le rôle de la femme et le statut social des musiciens sont des éléments que l’on retrouve dans beaucoup de systèmes spirituels et sociaux à travers l’Afrique de l’Ouest, comme le culte Hausa-Bori, encore pratiqué aujourd’hui dans le nord du Nigéria.
Au lieu d’être complètement assimilé à l’Islam, le culte Bori a synthétisé de nouveaux éléments spirituels au sein de leurs croyances existantes. Par exemple, la rencontre avec les savants arabo-musulmans dans les royaumes haoussa au XIe siècle a provoqué l’expansion du panthéon du culte Bori pour inclure le Zaurem Malamai, ou la « maison » des savants coraniques. Ils ont inclut de manière similaire la Zaurem Filani, ou maison de Fulani, quand les peuples Fulani se sont installés dans les royaumes haoussa au XIVe siècle. Ils ont aussi étendu le panthéon lors de leur rencontre avec les peuples berbères et européens, les classifiant tous deux en tant que visiteurs à peau claire appartenant à la Zuaren Turawa, ou maison des Nord-Africains. Chacune de ces “maisons”, comme la désignation des couleurs des Mluk dans la théologie Gnaoua, contenait des esprits qui imitaient les stéréotypes des peuples qu’ils rencontraient lors du rituel de possession – par ex. : des gestes de contemplation lors de la possession par un esprit Malamai, ou des imitations de scènes de guerre lors de la possession par un esprit Turawa[v]. Des membres du culte Bori ont sans doute fait partie de ces groupes ouest-africains qui déplacèrent le culte des panthéons d’esprits et la pratique de la possession-trance au Maroc, la transformant davantage en s’intégrant à cette société.
Quelles que soient les origines spécifiques des Gnaoua, le récit historique en vigueur montre qu’ils se sont formalisé sous le sultan marocain Moulay Ismaïl. Cependant, les Gnaoua affirment souvent descendre de Bilāl Ibn Ribāh, un ancien esclave d’origine éthiopienne, libéré par le prophète Mahomet à la Mecque, et le premier muezzin – le leader religieux appelant à la prière. Il faut penser ici la tension entre les réalités historiques acceptées, cultivées par une ou deux générations de chercheurs, pour la plupart extérieurs à la communauté Gnaoua, et la connaissance inhérente de la communauté Gnaoua, en dépit des limites qu’elle présente en regard des standards de recherche universitaire occidentaux.
Dans les sociétés traditionnelles africaines, la tradition orale est un puissant outil qui peut servir à archiver l’origine, les victoires, les défaites et la théologie. Elle est aussi liée à l’importance déjà mentionnée du lignage ancestral dans la société subsaharienne traditionnelle. Les traditions orales – les histoires de l’origine à nos jours – étaient passées de génération en génération, forgeant collectivement la conception éphémère d’une société sur elle-même, persistant à travers les migrations libres et forcées. Les Gnaoua utilisèrent de manière similaire la tradition orale pour préserver, façonner et transformer la perception de leurs origines dans une société hostile à leur égard. En plus des chansons honorant Allah et invoquant Mluk, la musique Gnaoua consiste également de chansons populaires, transmises de génération en génération, qui racontent les histoires de leur communauté.
Chouki El Hamel donne un exemple de cette synthèse de la narration et de la spiritualité dans le lyrisme Gnaoua, dans la chanson « Mbara » :
Oh! God our lord,
My uncle Mbara is a miserable man
What a fate does he have?
My uncle Mbara is a poor man
Our lady eats meat
Our master eats meat
My uncle Mbara gnaws at the bone
Our lady wears elegant shoes
Our master wears beautiful shoes
My uncle Mbara wears sandals
Oh! God is our Guide
This is the predicament of the deprived
Oh, poor uncle Mbara.[vi]
Oh ! Dieu notre père,
Mon oncle Mbara est un homme misérable
Quel destin l’attend ?
Mon oncle Mbara est un homme pauvre
Notre dame mange de la viande
Notre maître mange de la viande
Mon oncle Mbara ronge les os
Notre dame porte d’élégantes chaussures
Notre maître porte de belles chaussures
Mon oncle Mbara porte des sandales
Oh ! Dieu est notre Guide
C’est la condition des démunis
Gnawi M’allem Boubker Gania a dit à El Hamel que cette chanson est la plus vieille chanson Gnaoua, qui illustre la pratique du répertoire partagé de la musique Gnaoua.
Des chansons comme celles-ci sont partagées et augmentées de génération en génération, menant à de nouveaux vers contemporains tels que :
My master goes to the cinema
My uncle Mbara entertains in the market.[vii]
Mon maître va au cinéma
Mon oncle Mbara divertit sur les marchés
Alors que cet exemple tourne autour d’un personnage en particulier, d’autres chansons Gnaoua racontent l’histoire de leur communauté en bloc :
They brought [us] from the Sudan
The nobles of this country brought us
They brought us to serve them
They brought us to bow to them
They brought us
Oh there is no God but God
We believe in God’s justice.[viii]
Ils nous ont emmené du Soudan
Les nobles de ce pays nous ont emmené
Ils nous ont emmené pour les servir
Ils nous ont emmené pour qu’on se soumette à eux
Ils nous ont emmené
Oh il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu
Nous croyons à la justice de Dieu
extrait 3: Les Rouges et les Noirs , Julien Colardelle
La musique Gnaoua dépasse le cadre de l’esthétique. C’est un vecteur de mémoire qui qui ouvre de grandes possibilités, donnant à la communauté l’espace pour se réinventer perpétuellement tout en préservant ce qu’il y a de plus fondamental. Qu’ils se réclament de Bilāl est à la fois un produit de cet espace liminal de possibilité et un produit de leur histoire, qui reflète leur identité de multiples façons. Ces vignettes d’histoire individuelle et collective, incorporées dans leur tradition musicale orale, ont suivi les Gnaoua d’Afrique de l’Ouest, notamment à travers les griots, ces conteurs qui se servent de la poésie et de la musique pour partager l’histoire de leur communauté. El Hamel cite la théorie de la connexion linguistique entre les Gnaoua et les Griots de l’africaniste Thomas Hale :
« “Le mot agenaou, profondément ancré dans les cultures métissées de la région nord-ouest de l’Afrique, a sûrement été une étape dans le processus de changement linguistique qui commença avec ghana, et donna ensuite gnawa, agenaou, guineo, guiriot et enfin griot[ix].” »
La revendication de la descendance avec Bilāl constitue le point de rencontre des traditions orales Gnaoua et Griots. Dans l’Épopée de Soundiata, d’après le souverain de l’empire du Mali au XIIIe siècle Soundiata Keita, les griots retracent son lignage familial à Bilāl, dont le fils aîné « a quitté la Ville Sainte pour venir s’installer au Mali[x]. » El Hamel situe la revendication du lignage avec Bilāl dans les sociétés ouest-africaines au XIe siècle, sociétés alors en phase de conversion à l’Islam, comme un moyen de « [légitimer] leur identité en termes islamiques […], conscients de leur différence et de leur identité noire[xi]. » Dans les deux communautés, il s’agit de réinventer leur identité noire dans un nouveau contexte. L’identité noire de Bilāl pointe aussi vers les origines profondes de l’Islam en Afrique. Quand le Prophète, dont la nourrice était une femme éthiopienne, commença à enseigner dans l’Arabie polythéiste du VIIe siècle, ses fidèles furent persécutés et se réfugièrent en Éthiopie, alors connu sous le nom d’Abyssinie, lieu d’origine de Bilāl. Les réfugiés musulmans ont été bien reçus et protégés par le roi Armah. Après avoir regroupé ses fidèles et quitté l’empire aksoumite, le Prophète Mahomet déclara l’Abyssinie, un pays profondément chrétien, exemptée de djihad[xii]. La relation entre l’Islam et l’identité noire transcenda donc les frontières géographiques et entra dans le domaine bien plus fluide du processus historique.
Si dire que Bilāl, le Prophète, l’Éthiopie et le reste de l’Afrique subsaharienne sont directement liés reste du domaine de la spéculation, les processus historiques laissent néanmoins peu de place au hasard. Les migrations libres et forcées d’individus et de groupes de gens sont des catalyseurs importants d’événements futurs, ce qui complique nos conceptions du temps et de la géographie. Les revendications à Bilāl dans les traditions orales des Gnaoua ont autant de légitimité que les récits historiques produits par les chercheurs et les universitaires. Qu’elle soit généalogiquement établie ou non, la revendication à Bilāl pointe vers l’augmentation historique des pratiques ouest-africaines traditionnelles une fois entrées en contact avec les Arabes musulmans arrivant du nord, ainsi que vers la transformation de ces pratiques en tradition unique lors de l’installation des Gnaoua au Maroc. Si l’esclavage fait partie de l’héritage de Bilāl, son importance est moindre et le prestige d’être un fidèle compagnon du Prophète l’emporte, sans nier la capacité des Gnaoua à identifier leurs racines subsahariennes. Autrement dit, étant donné que leur identité noire était une source de marginalisation à la fois en Afrique de l’Ouest islamique et au Maroc, leur identification à Bilāl est venue légitimer leur « islamicité » et renforcer leur fierté d’identité noire.
La trajectoire complexe des Gnaoua, de l’Afrique de lOuest au Maroc et jusque sur la scène internationale, pointe vers le rôle essentiel des géographies politiques, des espaces liminaux et des démarcations culturelles dans les sociétés contemporaines. Apeike Umolu indique que le mode opératoire dans les sociétés traditionnelles africaines est « l’adaption plutôt que le changement ». Nous le voyons chez les Gnaoua, chez qui la connaissance historique et culturelle est un processus générationnel – qui s’étend et persévère à travers l’adversité et la prospérité. Quand il s’agit de penser le processus de la migration libre ou forcée, les Gnaoua nous invitent à envisager la dislocation autrement. S’il y a eu de profonds impacts sur la culture africaine traditionnelle lors de l’avènement de l’Islam et du déplacement des Gnaoua au Maroc, l’essentiel de leur tradition, leurs pratiques et leurs philosophies est resté intacte, bien qu’exprimé différemment. Si cela peut être en partie vu comme de la résistance, cela indique aussi une élasticité intégrée à la culture qui aide cette dernière à se façonner et à muter à travers l’espace et le temps. La dislocation est peut-être un terme trop littéral – qui nous fait délimiter des débuts et des fins qui ne sont pas toujours représentatifs de la réalité.
À travers les Gnaoua, des millénaires de culture africaine traditionnelle sont entrés en contact avec un Islam naissant pour produire une culture qui s’étendra et se repliera de l’autre côté du fleuve Niger, du Sahel, du Sahara et du Maghreb, invitant une quantité de peuples différents au cours de son évolution. Ainsi, nous continuons à réévaluer et imaginer les processus de migration, de tension culturelle et de rencontre dans des géographies changeantes, réelles et imaginaires.
Notes
[i]Chouki El Hamel, Black Morocco: A History of Slavery, Race and Islam (New York: Cambridge University Press, 2013), 288.
[ii]Apeike Umolu, “An Introduction to African Religions” (African History Project), June 8, 2021. https://africanhistoryproject.org/past-events/religion-past-events/past-lecture-an-introduction-to-african-religions/.
[iii] Pour un compte rendu détaillé, voir Deborah Kapchan, Deborah A. Kapchan, Traveling Spirit Masters: Moroccan Gnawa Trance and Music (Middletown, Wesleyan University Press, 2007)
[iv]Chouki El Hamel, Black Morocco, 283-284. (Toutes les citations ont été traduite de l’anglais, N.d.T.)
[v] Pour un compte rendu détaillé, voir Fremont E. Besmer, Horses, Musicians and Gods: The Hausa Cult of Possession Trance (South Hadley: Bergin & Garvey Publishers, 1983).
[vi]Chouki El Hamel, Black Morocco, 257.
[vii]Chouki El Hamel, “Constructing a Diasporic Identity: Tracing the Origins of the Gnawa Spiritual Group in Morocco,” The Journal of African History, Vol. 49, No. 2 (2008), pp. 257
[viii]Chouki El Hamel, “Constructing a Diasporic Identity,” pp. 256.
[ix]Chouki El Hamel, Black Morocco, 280.
[x] Chouki El Hamel, Black Morocco, 280.
[xi]Chouki El Hamel, Black Morocco 279
[xii]Richard Pankhurst, The Ethiopians: A History (Malden: Blackwell Publishing, 2001), 39-40.
Bibliographie
Apeike Umolu, “An Introduction to African Religions” (African History Project), June 8, 2021. https://africanhistoryproject.org/past-events/religion-past-events/past-lecture-an-introduction-to-african-religions/.
Chouki El Hamel, Black Morocco: A History of Slavery, Race and Islam. New York: Cambridge University Press, 2013.
Chouki El Hamel, “Constructing a Diasporic Identity: Tracing the Origins of the Gnawa Spiritual Group in Morocco,” The Journal of African History, Vol. 49, No. 2 (2008), pp. 241-260. https://www.jstor.org/stable/40206641
Deborah Kapchan, Deborah A. Kapchan, Traveling Spirit Masters: Moroccan Gnawa Trance and Music. Middletown: Wesleyan University Press, 2007.
Fremont E. Besmer, Horses, Musicians and Gods: The Hausa Cult of Possession Trance. South Hadley: Bergin & Garvey Publishers, 1983.
Richard Pankhurst, The Ethiopians: A History. Malden: Blackwell Publishing, 2001.
Les extraits sont tirés d’une Lila près du village de Tameslouht ou Julien Colardelle est invité par le maalem Aziz a assister et filmer durant la cérémonie.
Point de départ de la cérémonie, à l’extérieur de la maison d’accueil : procession à la lumière des bougies, tambours battant, aspersion à l’eau de rose.
Le plateau comprenant encens et étoffes aux sept couleurs est déposé au pied du groupe de gnaouas réunis autour de Aziz, le maalem.
Ils entament la première série des chants correspondant a l’invocation des septs familles spiriuelles.
Extrait 1
L’entré rituelle
Extrait 2
Les Blancs et Les Verts
Extraits 3
Les Rouges et Les Noirs
Kai Mora est Senior Fellow de l’African History Project, basé à Londres. Africaniste en devenir et professionnelle des musées, elle s’intéresse à l’exploration des synergies culturelles à travers le monde noir. Elle a été publiée dans The Republic et HISTORY, et a donné de nombreuses conférences sur la pensée panafricaine au début du 20e siècle. Elle est la fondatrice de The Fanonian, une plateforme dédiée à la promotion de l’érudition, de la culture et de la philosophie noires.
Julien Colardelle se dédie à faire dialoguer les arts vivants, les arts visuels et la musique ; témoignant de l’effervescence de sa génération en réunissant des artistes de tous bords lors de concerts ou de performances, ou en les filmant à l’œuvre.
Il est le fondateur de SOUFFLE collectif, maison de production qui relie ses divers projets de programmations (d’où sont nés de nombreux festivals et manifestations culturelles reconnues, notamment à l’église Saint-Merry et au Consulat Voltaire, à Paris), et de créations de spectacles vivants.
En parallèle, il poursuit la réalisation de films documentaires et vidéos musicales. Ses recherches l’ont amené à développer des projets dans de nombreux pays, notamment au Maroc, au Brésil et en Italie du Sud. Son premier long-métrage Scazzicare, est en cours de post-production.
Kai Mora est Senior Fellow de l’African History Project, basé à Londres. Africaniste en devenir et professionnelle des musées, elle s’intéresse à l’exploration des synergies culturelles à travers le monde noir. Elle a été publiée dans The Republic et HISTORY, et a donné de nombreuses conférences sur la pensée panafricaine au début du 20e siècle. Elle est la fondatrice de The Fanonian, une plateforme dédiée à la promotion de l’érudition, de la culture et de la philosophie noires.
Julien Colardelle se dédie à faire dialoguer les arts vivants, les arts visuels et la musique ; témoignant de l’effervescence de sa génération en réunissant des artistes de tous bords lors de concerts ou de performances, ou en les filmant à l’œuvre.
Il est le fondateur de SOUFFLE collectif, maison de production qui relie ses divers projets de programmations (d’où sont nés de nombreux festivals et manifestations culturelles reconnues, notamment à l’église Saint-Merry et au Consulat Voltaire, à Paris), et de créations de spectacles vivants.
En parallèle, il poursuit la réalisation de films documentaires et vidéos musicales. Ses recherches l’ont amené à développer des projets dans de nombreux pays, notamment au Maroc, au Brésil et en Italie du Sud. Son premier long-métrage Scazzicare, est en cours de post-production.