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Magnétogrammes polaires : des points de suture dans l’Espace
Katherine G. Sammler & Lauren Hartman

Les conceptions des régions polaires de la Terre sont suturées de motifs de l’Anthropocène en terme de futur incertain, et comme point central des impacts, des anxiétés et des tensions géopolitiques associés au changement climatique. Les Pôles nous accordent aussi aux lieux – de manière directionnelle à la surface de la planète, saisonnière en regard des migrations animales, et à nos connexions au système solaire. Les espaces polaires produisent des sens physiques, sociaux et culturels à travers notamment un ensemble de variables spatiales – orientation et direction – qui positionne et modère les relations planétaires : (Ant)arctiquité, polarité, nord-sud. Ces dichotomies spatiales dominent nos conceptions des extrémités de la planète, et cette directionalité est en grande partie fonction des champs magnétiques.

Figure 1 : Katherine G. Sammler, Sans titre, broderie manuelle sur coton, 2021.

Si les Pôles, et plus encore les champs magnétiques, sont principalement vus et présentés à travers un prisme scientifique, ils sont aussi médiés à travers des pratiques et des expériences quotidiennes. Le chercheur en études techno-culturelles Douglas Kahn soutient que beaucoup de philosophes « escamotent les expériences vécues d’électromagnétisme pour se concentrer directement sur la physique théorique et les comportements perceptiblement limités de réalités quantiques », et que cette prédilection « a laissé aux autres l’électromagnétisme quotidien vécu, des communications au Soleil. » (2013, 10, en italiques dans le texte). Au cours de cette collaboration, nous utilisons la broderie pour remédier le sous-ensemble magnétique des phénomènes électromagnétiques, afin de traiter la physique à travers des pratiques organiques. Nous considérons les échelles et aspects souvent oubliés des facettes personnelles et politiques de la physique terrestre et vivante, avec pour objectif d’utiliser des « éléments créatifs pour contester les espaces normatifs et les pratiques heuristiques disciplinaires. » (Marston et de Leeuw 2013, iv). La broderie présentée dans le schéma no. 1, qui représente le champ magnétique d’un barreau aimanté dipôle en rouge et en bleu, utilise des fils en argent sur la gauche. À droite, des fils en métal bleu rayonne vers l’extérieur, représentant le champ produit par le noyau en fusion de la Terre. Ce travail explore la physique de la magnétosphère et son importance pour la vie de la planète et la vie quotidienne – une « relation intime entre le champ magnétique et la vie », comme le décrit Mark Kaufman (2018, sans indication de page). À travers des vignettes que nous appelons magnétogrammes, nous essayons de nous rapprocher et de nous familiariser avec quelque chose qui semble distant et nous laissent perplexes.

Notre collaboration commença en 2021, durant les confinements liés à la pandémie de Covid-19. En tant que géographe en Allemagne et qu’artiste en Californie, nous nous sommes réunies virtuellement, cousant des broderies comme manière de (re)présenter des phénomènes, des champs et des orientations magnétiques éphémères visuellement, à travers le textile. Nous avons documenté le magnétisme planétaire et vécu à travers des diagrammes et des schémas, et avons partagé nos découvertes, nos techniques de broderie, et nos avancées. Nous avons choisi de manière indépendante des thèmes et des images qui nous ont aidés à imaginer, à concevoir et à composer des moments magnétiques. Chaque broderie est relativement petite, créant un reflet intime et détaillé de nos explorations.

Confectionner/Médier des magnétogrammes

Le célèbre physicien théoricien Richard Feynman a dit : « Je n’ai aucune photo de ce champ électromagnétique qui ne soit exactement représentative… Alors si vous avez des difficultés à prendre une telle photo, ne soyez pas inquiet – ce n’est pas inhabituel. » (cité dans Kahn 2013, 10). Ce projet est une expérience dans l’exploration de manifestations et de visualisations de ce phénomène éphémère, afin de nous aider, nous et les autres, à imaginer et à participer à cette abstraction, et de la matérialiser en formes textiles. Si nous nous inspirons de représentations scientifiques courantes, nous ne sommes pas obnubilées par l’exactitude de ces représentations. Nous cherchons à explorer la difficulté de la représentation, de la médiation et de l’envergure de la physique terrestre et vécue.

Les textiles ont de longue date servie à recueillir des histoires. Les points de couture transforment les idées abstraites en un processus et un objet physique. Nous avons choisi de broder, notamment car nous apprécions cette technique, mais aussi car elle s’inscrit dans la longue tradition de la broderie comme moyen de raconter des histoires. Les textiles n’existent pas sans narration, et ils ont déjà été utilisé par le passé pour faire la chronique des affaires cosmiques.

Un exemple de broderie narrative est la tapisserie de Bayeux (schéma 3). Cette broderie de 70 mètres de long décrit en détail la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066. La narration inclut la comète de Halley. Le roi Harold et un groupe d’Anglais ahuris pointent vers l’orbe enflammée traversant le ciel. On donne ainsi au cosmique un fondement, un contexte à ses relations terrestres orbitales, le représentant en spectacle pour les habitants de la Terre.

Figure 2 : Gauche : Une section de la Tapisserie de Bayeux (Image reproduite avec l’aimable autorisation de l’utilisateur de Wikipedia commons Myrabella, CC0 1.0 ).
A droite : Une section d’Historja (Image gracieuseté de Michael Alstad, ickr user malstad, CC BY-NC-SA 2.0).

Nous rapprochant des pôles, la broderie Historja de l’artiste sâme Britta Marakatt-Labba décrit la région Sápmi et son histoire millénaire. À la manière de la tapisserie de Bayeux, la broderie de Marakatt-Labba, longue de 24 mètres, est cousue sur une pièce de lin tissé. Elle présente les traditions orales et la vie polaire du peuple indigène Sami. La mémoire collective est ainsi rendue visible, et la broderie lui donne forme. Matthew Rana décrit cette œuvre comme l’incarnation des « tensions entre le représentatif et le symbolique, entre le figuratif et le figurable » puisqu’elles entremêlent « la réalité matérielle et les forces surnaturelles. » (2019, sans indication de page)

De la même manière que certains représentent des événements transitoires sur une chronique textile, nous matérialisons des moments magnétiques dans une œuvre tangible et fonctionnelle. Utilisant l’art comme catalyseur pour contextualiser la magnétosphère, nous pensons avec nos doigts afin de médier des émanations terrestres, à l’aide de la couture pour penser le processus et la théorie. Ce projet est une expérience – avec de la théorie et des fils à coudre, des champs et des tissus, des méthodes et des matériaux – pour explorer la magnétosphère de la Terre. Nous avons cousu les imaginaires du monde circumpolaire pour en faire quelque chose de concret. Nos broderies, au contraire d’Historja et de la tapisserie de Bayeux, ne sont pas des narrations linéaires, mais des vignettes déconnectées. Nous avons chacune contribué à des segments, qui pourraient être cousus ensemble pour donner une histoire partagée et transversale, la prochaine fois que nous nous trouverons toutes les deux au même endro

La broderie est un médium est très accessible aux créateurs, même en temps de pandémie. Les instruments tels que des aiguilles, du fil et des ciseaux s’obtiennent facilement. Nous avons choisi d’utiliser une série de tissus différents dont le coton, la veloutine et la soie comme bases pour le tissage. Certains sont des patches fait en coton, un tissu durable et commun, agrémenté de fils en métal en argent véritable. D’autres ont été créés avec des machines à coudre digitales, utilisant des données générées par ordinateur qui ont été tracées et cousues avec soin.

Figure 3 : Lauren Hartman, Strands of Force, broderie numérique sur coton, 2021.

Interplanétaire

Notre magnétosphère se manifeste par le noyau rotatif en fer de la Terre, générant un champ planétaire. Il relie la surface planétaire à son noyau profond, ainsi qu’à d’autres corps du système solaire, en particulier le Soleil. La rotation de ces entrailles de métal liquide tourne autour de l’axe de la Terre, produisant généralement un champ aligné entre les deux pôles, tel un aimant ordinaire. Si le champ est continu, avec une magnitude à tous les points dans l’espace, les diagrammes le représente généralement par des lignes discrètes, créant un schéma topographique et à plat de cette enceinte planétaire dynamique. Nous déplaçons les illustrations de ces abstractions scientifiques élémentaires vers quelque chose de texturé, de réfléchissant et de tactile.

Les lignes du champ magnétique individuel illustrées dans les diagrammes sont toutes deux une construction utilisée pour représenter un champ magnétique continu, et sont souvent figurées dans un style de bande dessinée qui cache la complexité réelle montrée par la magnétosphère. Comme le décrit O’Neil, « si les conditions le permettent, le champ magnétique du Soleil pourrait rompre la magnétosphère de la Terre, obligeant les deux parties à casser et à se reconnecter, créant un mariage magnétique temporaire entre le Soleil et la Terre. » (2020, sans indication de page). Ces manifestations comblent les limites entre le cosmique et le terrestre. Les contours oranges dans le schéma no. 4 illustrent les contorsions distordues d’une simulation de reconnection de champ magnétique réalisée par la NASA. Les traits ont été vectorisés à l’aide d’un logiciel de conception, puis cousus par une machine à coudre digitale. Les fils des lignes de champ magnétique individuelles sont composés de points denses générés par ordinateur qui suivent les contours de la simulation de reconnection.

Refuge cosmique

Le champ magnétique de la Terre est important car il agit comme un bouclier cosmique, protégeant les corps biologiques d’un bombardement de rayons cosmiques et s’assurant que notre atmosphère ne soit pas balayé par des vents solaires – un refuge contre l’érosion éolienne extraterrestre. C’est ce qui est arrivé sur Mars : la température du noyau s’est refroidit à cause de sa masse légèrement plus petite, se solidifiant au passage. Sans fluide conducteur, la bulle magnétique a explosé et les océans et l’atmosphère, privés de bouclier, ont disparu dans le vide. Si le champ magnétique de la Terre présente une force de seulement quelques microtesla à sa surface (Weigel 2018), – c’est-à-dire deux à trois ordres de grandeur de moins qu’un aimant de réfrigérateur – c’est suffisant pour nous contenir à l’abri, empêchant l’excoriation des éléments essentiels à la vie.

Figure 4 : Katherine G. Sammler, Pigeon, broderie manuelle sur coton, 2021.

Le dynamisme continu de notre planète lui permet de rester habitable et d’entretenir des liens uniques avec le reste du système solaire, en plus des connections entre la surface et le noyau, les pôles et les plus basses latitudes, et les champs spatiaux de navigateurs humains et non-humains. Les relations magnétiques orientent les peuples, les particules, les plantes et les pigeons sur la planète. Et si la Terre agit comme une barre magnétique géante, ces forces sont invisibles aux êtres humains. Leurs impacts, quoiqu’ayant des implications écologiques, culturelles et socio-politiques très répandues, sont rarement considérés en dehors de la physique ou de quelques sciences appliquées. Les animaux utilisent le champ pour migrer, mais le champ lui-même migre. Le schéma no. 5, donne une vue rapprochée d’un pigeon voyageur entouré d’un mince champ magnétique fait de fil qui oriente et dirige l’oiseau pendant de longs trajets. La détection par les pigeons du champ magnétique est tissé dans leur système de navigation complexe. Les gens ont longtemps utilisé les pigeons voyageurs pour envoyer des messages discrets derrière les lignes ennemies, grâce à la capacité des oiseaux à retrouver leur chemin.

Sensibilité animale

Les êtres humains savent depuis des milliers d’années qu’un bout de métal magnétisé s’alignera le long de l’orientation nord-sud – une connaissance utilisée pour naviguer, migrer, et explorer la terre, la mer et le ciel. Bien sûr, l’être humain n’est pas le seul animal à utiliser le champ magnétique de la Terre de cette manière. Les animaux non-humains le font immédiatement, sans la médiation technologique dont nous avons besoin, excédant ainsi les êtres humains sur cette capacité sensorielle. Comme l’explique le biologiste comportemental John Philips, « des organismes aussi divers que les hamsters, les salamandres, les moineaux, la truite arc-en-ciel, les langoustes et les bactéries le font… J’irais même jusqu’à dire que c’est quasiment universel. » (cité dans Tyson 2003). Les animaux migrateurs utilisent les champs magnétiques pour s’orienter, certains voyageant sur des centaines, voire des milliers de kilomètres pour atteindre leur destination. Le schéma no. 6 illustre à l’aide d’une broderie un saumon géniteur cousu de mouchetures bleues et rouges, sentant une topographie magnétique représentée par un fil d’or.

Figure 5 : Katherine G. Sammler, Un saumon, broderie à la main sur coton, 2021.

Les saumons sont connus pour nager depuis leur lieu de naissance dans un cours d’eau douce jusqu’aux eaux profondes et salées des mers, où ils passent leur vie adulte. Ils retournent ensuite sur leur lieu de naissance, des années plus tard, au gré d’un voyage sensoriel utilisant l’angle et la force du champ magnétique. Cette navigation biologique du retour est une force directrice puissante. Elle est peut-être aussi un trait généalogique. Un laboratoire de recherche en Oregon teste de telles possibilités, utilisant des fils de cuivre enroulés pour attirer les poissons dans l’orientation du champ local. L’expérience cherche à déterminer le mécanisme exact et la durée de la connaissance spatiale du saumon (Scanlan et al. 2018). Comprendre cela devient de plus en plus important avec le nombre croissant de poissons d’élevage, génétiquement modifiés pour certains, qui pourraient hériter d’une traction intergénérationnelle vers un ruisseau de frai révolu, héritage épigénétique leur permettant de se souvenir d’un endroit qu’ils n’ont jamais connu.

On appelle magnétoception l’interprétation biologique du magnétisme pour la navigation (à ne pas confondre avec le biomagnétisme, qui désigne la production d’un champ par un organisme, ou la magnéto-biologie, qui est l’impact d’un champ sur un organisme). Comme nous l’avons montré avec le saumon, la compréhension de la magnétoception est un champ scientifique en cours de développement, considérée auparavant comme une quasi-science, dans lequel il reste encore beaucoup à découvrir (Kaufman 2018). Il y a même des études en cours ayant pour but de déterminer si les humains auraient encore des facultés magnétiques résiduelles. Les cerveaux humains contiennent de la magnétite, et nos yeux des cryptochromes, qui aident à la magnétoception chez d’autres animaux. Au-delà des cinq sens conventionnels, le professeur de géobiologie Joseph Kirschvink souligne que « la gravité, la température, la douleur, l’équilibre et d’autres stimuli internes » sont également important à la connaissance expérientielle humaine. Et peut-être que nos capteurs de champ géomagnétique devraient aussi être mentionnés ici, représentant non pas notre sixième sens, mais sans doute le dixième ou onzième. » (cité dans Perkins 2019).

Figure 6 : Lauren Hartman, Delineation, broderie numérique sur coton, 2021.

Géopolitiques géomagnétiques

Le champ géomagnétique de la Terre est utilisé pour les systèmes de navigation, d’attitude et de référence de cap pour les entreprises militaires, scientifiques et civiles. L’U.S. Air Force fait l’expérience d’utiliser un magnétomètre pour la navigation dans le cas où les satellites GPS seraient détruits, bloqués ou usurpés (Mizokami 2021). C’est un cas parmi d’autres où « l’armée a essayé de recruter la Terre comme informateur », s’amuse Wayne Chambliss (2020, 67). Le World Magnetic Model (WMM), co-produit par la National Geospatial-Intelligence Agency américaine (NGA) et le Defense Geographic Centre britannique (DGC), surveille les variations entre le pôle magnétique nord et le vrai pôle Nord géographique terrestre. La différence entre les deux s’appelle la déclinaison magnétique, et la calculer est essentiel pour la navigation.

Si les variations du pôle magnétique ne sont pas inhabituelles, en raison des fluctuations de la densité du noyau liquide de la Terre, ces changements peuvent être irréguliers et difficile à prévoir. Le modèle a dû subir une mise à jour imprévue en 2019 à cause d’un comportement incohérent du champ qui n’a toujours pas été compris à ce jour (Witze 2019). La broderie digitale en schéma no. 7 trace les lignes de déclinaisons au pôle Nord. La représentation du champ magnétique nord par le WMM a été soigneusement vectorisée en quatre couleurs. Les valeurs positives de déclinaison sont cousues de fil rouge, et les charges négative en bleu. La mince ligne agonique, une ligne imaginaire qui passe à travers le pôle magnétique nord et le pôle Nord géographique, est tracée en jaune fluorescent. Les lignes de latitude encerclent les champs magnétiques avec du fil métallique.

Les archives de glace fondue

L’histoire de la magnétosphère de la Terre, un champ d’études appelé paléomagnétisme, examine les renversements polaires sporadiques. Ces renversements sont archivés dans la glace. Comme dans les carottes de sédiments ou les bandes géologiques stratifiées, les particules magnétiques de poussière et de terre dans l’eau congelée sont « alignées avec le champ magnétique de la Terre au moment où elles se retrouvent coincées. » (Weizmann Institute of Science 2020, sans mention de page[1] ). Ces chroniques gelés racontent l’histoire de la géomagnétique changeante de la Terre, ansi que bien d’autres phénomènes biologiques et physiques – une tapisserie géologique du temps profond. C’est ainsi que nous savons qu’un renversement des pôles est attendu depuis longtemps, un processus chaotique au cours duquel les champs magnétiques de la Terre « se transforment et s’attirent l’un l’autre » jusqu’à ce que les pôles nord et sud s’intervertissent (Dunbar 2011).

Figure 7 : Lauren Hartman, Migration, broderie manuelle sur soie, 2022.

De la même manière que des changements dans le noyau de la Terre font bouger les pôles magnétiques, des changements de distribution de masse à la surface de la Terre déplacent les pôles géographiques. Si la position de l’axe de rotation de la planète connaît quelques oscillations, la fonte des glaces et l’épuisement du stockage des eaux ont contribué de manière significative au déplacement de la masse de glace près des pôles, des lacs et des aquifères terrestres vers les océans. « Si la glace disparaît d’une partie de la Terre et se rétablit en eau ailleurs, la planète se déplace sur son axe vers l’endroit où elle a perdu de la masse. » (Howard 2016). Le double impact anthropique du changement climatique et de l’épuisement de l’eau mène à une redistribution de la masse vers l’équateur, provoquant le déplacement des pôles. Le pôle Nord géographique a migré à un rythme dramatique depuis cinquante ans. La direction de sa dérive a été imprévisible jusqu’à présent, mais surveillée de près. Dans le contexte du mouvement, de la dérive et du renversement polaires sur plusieurs échelles de temps, les pôles semblent apporter autant de désorientation que d’orientation.

Dans le schéma no. 8, la broderie Migration rend visible l’épaisseur changeante de la glace de la mer Arctique et les changements du pôle magnétique nord. Les billes en forme d’onyx représentent la migration du pôle magnétique nord depuis le Canada vers la Sibérie. La carte tissée gèle les niveaux de glace au 10 septembre 2021, date à laquelle notre activité de couture commença. Les données de l’épaisseur de la glace sont représentées en utilisant un code couleur – les plus haut niveaux de glace de mer (4 mètres) en fil rouge foncé, et les zones les plus fines (25 centimètres) en bleu foncé. Le fil de broderie rouge repose au-dessus de la surface lisse, presque glacée, de la soie bleue. Les contours des masses polaires sont cousues avec du fil métallique.

Boréales

Le mouvement magnétique non seulement migre mais créé des rythmes de lumières dansantes dans le ciel. Des particules chargées voyagent le long des lignes des champs magnétiques avant d’entrer en collision avec des gaz atmosphériques, émettant alors des lumières colorées, verte avec des molécules d’oxygène, et rouge ou bleu avec des molécules de nitrogène. La luminescence des aurores le long de la topographie des champs rend visibles ces « éléments de la Terre qui rendent la vie possible. » (Kaufman 2018, sans mention de page[2] ). Concernant la perception humaine, les manifestations de la magnétosphère sont les plus visibles dans le ciel nocturne antipodique. Le champ magnétique est au plus fort au point de convergence des lignes, produisant des aurores polaires, boréales au nord, australes au sud. Les tempêtes géomagnétiques libèrent des vagues électromagnétiques, provoquant la collision d’une cascade de photons avec l’ionosphère, la haute atmosphère électriquement chargée. Dans le schéma no. 8, une aurore est cousue sur de la veloutine, un tissu riche et dense qui évoque un sentiment de vide, seulement rompu par les lumières scintillantes brodées dans le ciel. Les couleurs des lumières couvrent le spectre tout entier contre le ciel étoilé.

Figure 8 : Katherine G. Sammler, Aurora borealis, broderie à la main sur velours, 2022

Nous avons essayé de créer au cours de ce travail un fil conducteur qui relierait les arts tactiles et la magnétosphère éphémère pour explorer les magnétismes vécus. Comme le décrit Kahn, cette physique expérientielle est « une pratique désordonnée, qui est le résultat d’un amalgame asynchrone d’expériences perceptuelles, développant des jargons et des discours, des technologies et des connaissances scientifiques. » (2013, 10). De la manifestation de champs invisibles à l’illustration de la magnétoception animale, nos magnétogrammes utilise la broderie comme simple technologie pour proposer un langage tactile qui fait converser l’enchevêtrement du vivant et du non-vivant. Comme l’explique Tom Nurmi, « les symétries élégantes qui persistent entre les sphères biotiques et abiotiques de l’être pourraient offrir une passerelle entre les sciences et l’art qui éclairerait notre dépendance et notre obligation envers des mondes non-humains inconnus. » (Nurmi 2020, p. xiii). Tandis que nos broderies cousent des filaments et des nœuds dans de la soie et de la veloutine pour composer chaque image, les lignes et particules du champ sont reliées à des organes sensoriels et des habitats planétaires afin de créer une vie-monde.

Bibliography

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