/ HAS MAGAZINE
Souvenirs de lieux
Lilia Benbelaïd
Artiste Visuelle
Une pratique du dessin qui tente de capturer les souvenirs qui imprègnent tout espace urbain.
Chut.e, Lilia Benbelaïd

Nos villes sont composées d’espaces que l’être construit, habite et vit. Cette accumulation de lieux donne naissance au paysage, un agglomérat de demeures habitées et d’aires abandonnées, délaissé parfois pour être à nouveau revécu peut-être. Toile de fond et décor de scènes et d’événements du quotidien, les lieux accueillent les interactions du corps, les songes et la présence du vivant.

Nos souvenirs s’emmagasinent dans des formes géométriques, se dissimulent derrière des façades, s’amassent dans les foyers, errent dans les rues et planent sur les places. Le lieu accueille le souvenir, fabriqué par l’individu au gré du temps ; sous forme d’images, d’odeurs et de sons qui ont voyagé loin de notre mémoire. Le souvenir prend place dans l’esprit et dans le vide, le lieu est un témoin muet et s’en souvenir ravive la mémoire. On y rencontre à nouveau de vieux visages, on y entend des paroles qui ne font plus écho, de longs silences aussi. On revoit les corps qui se meuvent dans l’impalpable vide. Ces images flottantes de l’esprit sont ré-interprétables et brouillées par le temps. On se demande même si ces moments ont réellement existé.

Le souvenir est volatile et s’évapore dans un ensemble de particules. Invisible, il se heurte pourtant sur chaque paroi d’un espace, va et vient. Physique et matériel, le lieu est le réceptacle du souvenir, cette pellicule vidéo que l’on rembobine et qui façonne notre identité. Les souvenirs nous forgent, les lieux aussi.

Je dessine la ville pour décrire et sauvegarder des paysages urbains en constante mouvance. La mine du crayon retranscrit un lieu et un moment vécu qui semblait s’être échappé. Je dessine des lieux pour que le souvenir ne se meure dans l’oubli, qu’il continue à exister, même si le visage que l’on a chéri pendant d’innombrables années se désintègre au fil du temps. En dessinant une ruelle, le souvenir d’un premier baiser s’immortalise, le son des rires y réverbère et l’atmosphère s’assombrit lors d’un énième au revoir. Cette rue indiffère certains, reste gravée dans l’esprit pour d’autres. Les lieux s’apparentent à des instants furtifs de l’existence, où la banalité crée l’inédit. Ces esquisses sont parfois ancrées dans des carnets qui ne seront peut-être plus ré-ouverts mais ont le pouvoir de faire interagir la mémoire visuelle. Le dessin devient un autre témoin du souvenir. Faut-il encore vouloir se souvenir.

Fragmentées et fictives, ces esquisses se distancent du réel et racontent la trajectoire d’une existence, en image. L’alliance d’ombres et de lumières qui coexistent dans les lieux devient une ligne crayonnée sur le papier mais n’existe pas dans la réalité. Cette ligne se courbe, se froisse et s’élance pour défier la loi de la gravité dans l’espace et rend le temps relatif. Elle s’improvise à illustrer des lieux déconnectés du réel pour faire rejaillir la mémoire. Cette fiction entremêle une urbanité qui se nourrit de souvenirs et d’émo- tions vécus. L’esquisse paraît aussi confuse que le souvenir et s’initie à la libre interprétation. Je mets ces ébauches de lieux au service d’une émotion passée et la cristallise sur un bout de papier. Le feuille devient à son tour le réceptacle du souvenir, imagé, et recueille ce qui semblait s’être évaporé. J’utilise l’art pour libérer l’émotion que m’évoque l’espace habité ; pour rappeler un souvenir qui se dérobe de la mémoire mais vagabonde encore dans des lieux ordinaires. Je dessine l’intangible et l’invisible souvenir en décomposant les lieux de notre histoire.

Abîme, Lilia Benbelaïd
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Fuite, Lilia Benbelaïd

Lilia Benbelaïd obtient son diplôme d’Architecte d’État à l’ENSA Marseille en juin 2018. Elle esquisse une première série de croquis paysagers dans le camp de réfugiés de Chatila, à Beyrouth donnant lieu au projet « Farasheh», qui traite à la fois de thématiques spatiales et environnementales. Cette série intitulée

« In situ » est exposée en juillet 2020 à Tota Beirut. Elle expose ensuite une série d’illustrations nommée

« Urbanité Infinie » à l’Atelier di Bernard, à Marseille, en septembre 2021 puis au sein d’une exposition collective à Mojo Art Gallery, à Beyrouth. Elle fait aujourd’hui partie des artistes de no/mad utopia, une galerie virtuelle qui promeut le travail d’artistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

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05
Espaces et lieux
Juillet 2022
Auteur

Lilia Benbelaïd obtient son diplôme d’Architecte d’État à l’ENSA Marseille en juin 2018. Elle esquisse une première série de croquis paysagers dans le camp de réfugiés de Chatila, à Beyrouth donnant lieu au projet « Farasheh», qui traite à la fois de thématiques spatiales et environnementales. Cette série intitulée

« In situ » est exposée en juillet 2020 à Tota Beirut. Elle expose ensuite une série d’illustrations nommée

« Urbanité Infinie » à l’Atelier di Bernard, à Marseille, en septembre 2021 puis au sein d’une exposition collective à Mojo Art Gallery, à Beyrouth. Elle fait aujourd’hui partie des artistes de no/mad utopia, une galerie virtuelle qui promeut le travail d’artistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.