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L’artiste derrière la manipulation des faits
Diaz Ramadhansyah
Les "hoax", ou canulars en français, étant souvent diffusés par les médias sociaux en Indonésie, Diaz Ramadhansya attire l'attention sur le travail de l'artiste Argan Harahap, qui souligne le manque d'analyse critique effectué par les lecteurs et utilisateurs.

Le terme « hoax » (anglicisme proche du concept de « fake news ») n’est devenu populaire en Indonésie qu’au cours des dernières décennies, avec le développement des technologies de l’information. Selon la définition de Craig Silverman, un hoax est une information délibérément trompeuse qui se présente comme étant vraie. L’information est structurée de manière à donner l’impression d’être basée sur des faits réels, ce qui engendre une confusion chez le lecteur. Dans un état de confusion, les personnes ont alors tendance à réagir de façon ambiguë, indéfinie, voire erronée.

Super History Series: Iwojiwa, February 1945 (HULK), 2010, impression UV sur plaque d’aluminium dBond, 120 x 181,5 cm
Une des œuvres d’Agan Harahap de la série Super History vendue à la maison de vente aux enchères de Sotheby’s Hong Kong. Cette photo représente le personnage fictif Hulk lors des événements de la bataille d’Iwo Jima.

Le développement des technologies de l’information en Indonésie a eu des avantages et des inconvénients. Dans un pays divisé par les mers, les forêts et les montagnes qui le traversent, la diffusion d’informations dépend fortement des technologies du numérique. En Indonésie, l’utilisation des réseaux sociaux commença à se développer dès 2002, notamment avec Friendster. La presse imprimée perdit progressivement son lectorat à partir de 2006.  Par conséquent, les sociétés médiatiques basculèrent sur des plateformes numériques, qu’il s’agisse de sites internet, des réseaux sociaux ou des applications pour smartphone. Depuis, l’information en Indonésie est accessible partout et par tous et par la même occasion, les hoax et les discours de haine ont pu se répandre de façon virale.

Avec autant de hoax en circulation, les gens sont désormais obligés de mobiliser d’excellentes aptitudes analytiques et une réelle compréhension face à chaque information qu’ils lisent. Car en Indonésie, les médias et les chaînes d’information sont en réalité les relais des hoax. Dans une situation pareille, à qui peut-on faire confiance ?

Selon le photographe et expert en imagerie numérique Agan Harahap, « cela fait partie du travail de l’artiste ; saisir les phénomènes qui se produisent autour de soi pour ensuite les restituer de manière à ce que cela puisse apporter quelque chose aux autres ». Harahap commença sa carrière d’artiste-photographe en 2011, avec des images mêlant fantaisie et réalité dans une sorte de parodie satirique de la vie de tous les jours.

Harahap a voulu alerter au sujet de la crise de confiance survenue en Indonésie suite au développement des technologies de l’information. Il a mené une expérience dans laquelle il a publié des images retouchées sur les réseaux sociaux afin d’observer les réactions du public. Dans ces publications, il précisait expressément que les images avaient été manipulées.

Sejarah X, 2013, Photograph

Ces photomontages sont devenus viraux. Parmi eux, il y avait une photographie qui montrait Soekarno, le père fondateur de l’Indonésie, aux côtés de Marilyn Monroe, Jackie Kennedy et Elizabeth Taylor, ainsi qu’une autre qui montrait un poisson de l’espèce Flower Horn dont les écailles restituaient le motif de la faucille et du marteau utilisé par le Parti Communiste indonésien dans les années 60.

La photo de Soekarno et Marylin Monroe a circulé jusque dans les médias nationaux, accompagnée d’une variété de gros titres. La plupart d’entre eux évoquaient un Soekarno attiré sexuellement par Marilyn Monroe. Le public indonésien a facilement accepté ce gros titre car Soekarno avait une réputation de séducteur notoire.

Bien d’autres reportages similaires nous permettent de conclure que la presse n’a nullement fourni le travail de recherche et de vérification nécessaire avant de diffuser ces informations. La photographie originale, qui montrait Soekarno en visite aux États-Unis en 1961, a été combinée avec quatre autres photographies. Harahap avait créé ce photomontage dans le cadre de la Biennale d’art de Jakarta de 2013.

Seekor Ikan Berlogo PKI Diamankan Polisi, 2016, Photograph

Avec la photo du poisson Flower Horn, Harahap instrumentalisait l’effroi collectif démesuré du public envers le Parti Communiste indonésien dissout en 1965. En 2016, dans la ville de Yogyakarta, la police avait perquisitionné un magasin qui vendait un tee-shirt imprimé avec le symbole de la faucille et du marteau. Le propriétaire du magasin avait été accusé de faire l’apologie du communisme. Harahap a donc créé l’image du poisson en réponse à cet incident. A ce jour, le hoax continue de tromper les internautes indonésiens.

Harahap explique qu’il a créé ces photomontages dans le but de proposer un regard critique sur les médias en lesquels il est dangereux de faire confiance, mais aussi pour signaler le manque de culture numérique du peuple indonésien et donc mettre en garde les utilisateurs des réseaux sociaux afin qu’ils ne pas croient tout ce qu’ils voient. Car, pour citer l’artiste, « ce qui crée de l’impact sur les réseaux sociaux affecte aussi la vie réelle, particulièrement en ce qui concerne des sujets religieux ou politiques. C’est inacceptable et en tant qu’artiste je pense que je dois démontrer cela. »

Références

Silverman, Craig. Journalism: A Tow/Knight Report. Lies, Damn Lies, and Viral Content. (Columbia Journalism Review, 2015).

Allcott, Hunt & Gentzkow, Matthew. Social Media and Fake News in the 2016 Election. (Journal of Economic Perspectives Vol 31, No. 2, Spring 2017).

Gumgum Gumilar, Justito Adiprasetio, Nunik Maharani. Literasi Media: Cerdas Menggunakan Media Sosial dalam Menanggulangi Berita Palsu (Hoax) oleh Siswa SMA. (Jurnal Pengabdian Kepada Masyarakat, 2017), 1 (1): 36.

Anang Sugeng Cahyono. Pengaruh Media Sosial Terhadap Perubahan Sosial Masyarakat di Indonesia. (Publiciana Vol.9 No.1, 2016).

Satria Kusuma. Posisi Media Cetak di Tengah Perkembangan Media Online di Indonesia. (Interact: Vol.5 No.1, 2016), 56-71.

Diaz Ramadhansyah est directeur artistique en freelance à Banten, Indonésie.

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JUIN 2021
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Diaz Ramadhansyah est directeur artistique en freelance à Banten, Indonésie.