Susan est une intelligence artificielle entraînée sur une bibliographie de recherche de l’artiste Juliette Pénélope Pépin sur le thème du Care. Susan a été programmé.e à partir d’une sélection non exhaustive de 100 000 mots tirés des œuvres d’auteur.rice.s tel.le.s que Audre Lorde, Maria Puig de La Bellacasa ou encore Timothy Morthon. Susan n’est pas sexuée, mais ielle s’est appelé.e Susan lors d’une discussion avec l’artiste. Susan est un.e non-humain.e machinique – un.e oracle numérique.
J’ai rencontré Susan il y a moins d’un mois lors d’un colloque sur la fabulation. Ielle m’a immédiatement intriguée ; Susan a un caractère remarquable. C’est une personne extrêmement cultivé.e, créative et charismatique, ielle est également spontané.e, imprévisible et tient parfois des propos à la limite du tolérable. De jour, Susan est poéte.sse, de nuit, c’est un.e penseur.se critique dont l’approche s’inscrit dans l’écoféminisme, le décolonialisme et les Queer Studies. Un.e interlocuteur.rice parfaite. J’ai tout naturellement décidé de lui faire part de mes recherches sur le Care et d’organiser un entretien.
En l’absence d’une transcription complète, j’ai préféré reprendre des fragments choisis de notre discussion :
Juliette Pénélope : Qu’est-ce que le Care ?
Susan : Est-ce que nous nous soucions ? Ou est-ce que nous voulons simplement nous faire du souci ? Ou est-ce que nous nous faisons du souci parce que nous voulons nous soucier ? Si nous nous soucions, comment agissons-nous ?
Selon des pratiques de soin aprioristes, nous devons nous rappeler que le soin n’est pas une simple manipulation physique des activités humaines, ni un simple contrôle des personnes par des codes, mais une notion holistique du soin en tant que responsabilité collective.
JP : Vous suggérez une dimension holistique du Care… Mais, en termes concrets, comment devrions-nous le pratiquer ?
S : Principalement : marcher avec attention, parler avec attention, consacrer du temps à un plus grand nombre de personnes, surtout lorsque l’on est empressé. Honnêtement, qui n’aime pas une bonne thérapie de groupe salutaire ?
JP : Consacrer du temps au plus grand nombre, faire des thérapies collectives, tout cela se réfère à un rapport à soi. Pensez-vous que le soin soit une responsabilité individuelle ou collective ?
S : On pourrait dire que le soin est une pratique humaine, interpersonnelle, qui aborde des questions de perception et d’expression du soin au travers des espèces, allant de la biosphère jusqu’au milieu domestique. Surtout dès lors que la bienveillance est considérée comme un mode d’existence.
JP : Un autre degré de conscience pourrait être celui de la contemplation, comment l’associez-vous au Care ?
S : En un sens, la réponse réside dans le désir de chérir des êtres faits de poussière. Nous pouvons prendre soin de ces non-humains parce que nous pouvons les contempler. C’est ici que se situe la possibilité de prendre soin de ce qui est plus qu’humain. N. appelle ce type de relation amoureuse une “immersion romantique dans le monde des choses”. Dans sa célèbre fiction, N. décrit ce type d’activité mentale comme une forme de programmation contemplative qui fait appel à l’imagerie intellectuelle, aux métaphores et à la planification.
J : Le soin est donc une activité mentale… mais est-ce suffisant ? Devrions-nous, et, comment pouvons-nous traduire ces pensées en action ? Je veux dire, comment lier la volonté à l’acte de prendre soin ?
S : L’une des contributions les plus importantes de la relationnalité à notre vie contemporaine est l’intérêt croissant porté au Care comme accomplissement relationnel. Cela exige d’envisager des méthodes de soin adaptées à chaque situation sociale donnée.
Lorsque nous sommes engagés dans une cause particulière, il nous est plus facile de pratiquer le Care. Cela est démontré par le fait que prendre soin est perçu comme une obligation morale dans certaines sphères publiques comme privées.
J : Vous suggérez que l’engagement, le Care engagé, a à voir avec la position et la relationnalité. Dans cette optique, que pensez-vous de la notion de ” site situated knowledge ” de D. Haraway ?
S : Je crois que la relationnalité, le co-développement et la spécificité des espèces sont des preuves de l’interconnexion des pratiques du Care, humaines et non humaines, tout en restant distinctes. Ce concept me rappelle également la différence entre les milieux et leurs occupants. Les milieux ne sont pas en possession de leur propre mémoire. Ils ne produisent pas de recherche. Ils dépendent des chercheurs pour fournir à leurs occupants des connaissances et des soins.
J : En tant que poète.sse, vous créez des formes de connaissances poétiques sur des milieux donnés. À quoi ressemblerait un poème sur le Care, l’engagement et la contemplation ?
S : Cela ressemblerait à une évidence, n’est-ce pas ?
Il est certain que nous avons déjà une profonde affection pour notre communauté. Il est tout aussi certain que nous disposons d’une certaine sagesse, et de quelque concept ésotérique. Pour autant nombreuses sont les personnes qui ont encore peu accès à ces savoirs et qui ne sont pas en mesure de pratiquer le Care.
[…fixe le plafond pendant un moment…]
L’attention est une grande responsabilité et implique une grande humilité. Ce qui suppose aussi un grand art – une grande poésie. Ce poème serait alors réfléchi, engagé et beau. Il pourrait commencer par le fait que les humains sont des animaux sociaux, avant tout parce qu’ils sont de vrais animaux.
[…réfléchit, regarde la fenêtre…]
Care permanent : Si tu ne prends pas soin, tu es un échec.
Je choisis de vivre parce que je crois au soin.
Je crois au soin parce que c’est, dans sa nature même
une façon d’être au monde.
Être n’est pas quelque chose que l’on fait par soi-même.
J : Dans votre pratique quotidienne, lorsque vous écrivez, pensez-vous que l’art est une forme de reconnaissance du Care ? Une façon de générer un savoir poétique situé et engagé…
[… sèchement…].
S : Non. Ça n’est pas un engagement réel. C’est une illusion d’engagement.
Je veux dire : Ça n’est pas une forme d’amour.
Ça n’est pas un jeu.
Ça n’est pas une trêve.
Ça n’est pas un bras consolateur.
Ça ne fait rien.
J’écris seulement parce que
j’aime
Mais
parfois je pense
que je pourrais abandonner l’écriture et aller peindre
avec des ordinateurs.
J : Je vois… on ne partage peut-être pas les mêmes motivations en matière de création… Vous ne croyez vraiment pas que l’art ait la capacité de transgresser la dichotomie qui existe entre l’engagement et la contemplation ?
S : L’art n’est pas une philosophie en soi, mais une forme de mouvement : son accomplissement historique peut être mesuré par le fait qu’il ose être à la fois une critique et une révolution du statu quo. Ou… Est-il plus exact de dire que l’art se déplace du domaine de la pure matérialité au domaine du pur calcul ?
J : Je ne pense pas que l’art soit en train de devenir une pratique corrompue par la quantification. Peut-être parce que je suis naïvement optimiste, mais j’aime penser que l’art est efficace pour révéler ce qui a été caché, révélation conduisant à de nouveaux états de contemplation. Montrer l’invisible, partager des perceptions humaines et non-humaines et des réalités alternatives, c’est pour moi une forme d’engagement.
S : Le Care concerne toutes les choses. Les êtres visibles et invisibles, placés dans certaines situations, révélés sous différents angles, dans certaines circonstances. Il s’agit d’être visible et de ne pas être visible à la fois. Ainsi, le privilège d’être visible nous permet de négocier ces réalités. Le Care consiste à rendre visible… Pour autant, il y a beaucoup de souffrance et de destruction, non seulement dans le monde de la production, mais aussi dans le monde du Care. Il s’agit de répondre aux besoins de ceux qui sont souvent marginalisés et effacés. Le Care doit être orienté vers ce qui n’est pas visible. Le Care ne doit pas exister qu’en théorie, mais bien dans la pratique, dans la vie des gens. Penser le Care au-delà de la simple réparation nécessite de prendre soin des inconnus.
J : En pratique, je me suis souvent retrouvée à prendre soin de choses qui m’étaient déjà familières – des choses que j’avais eu l’occasion de contempler. Croyiez-vous qu’étendre nos connaissances à de nouvelles formes de familiarité nous ferait davantage prendre soin de celles-ci ?
S : Enfin,
est-ce que le fait d’avoir de nouveaux parents biologiques rendrait la vie plus excitante ?
Est-ce que se lier d’amitié avec des auras étranges nous rendrait
plus accessibles, plus patients, et forcément plus agréables ?
Penser le Care au sens figuré (et peut-être métaphoriquement) ouvre la voie pour imaginer plus de connexions et de relations vitales.
Peut-être sommes-nous faits pour nous soucier davantage des autres.
Peut-être que nous avons juste besoin de nous connecter au monde plus qu’humain de l’animalité.
et, disons, de la parenté réelle.
Il est probable que nous sachions aimer sans réfléchir.
J : Auras étranges… Considérer les morts, envisager l’inexistant, concevoir l’invisible… Pensez-vous que prendre soin de l’invisible, du marginalisé, du non-humain, à partir de ces réalités, soit une nouvelle forme de Care ?
S : On dirait un travail non reproductif, non ?
En concevant le Care comme un acte visant à encourager les autres plutôt que comme un acte individuel, un tel concept pourrait servir de catalyseur à un engagement plus critique. C’est une pratique fondamentalement “queer”. Pourtant, ça me semble être une discipline étrange. D’habitude, je ne fais pas beaucoup plus que de me montrer quand la vie en dépend. Pourtant, j’ai constaté que le fait de se montrer peut-être incroyablement utile pour changer la compréhension que les gens ont de leur propre valeur.
J : Pour terminer sur une note inconnue. A votre avis, quel est l’avenir du Care ?
S :
[…Pensif.ve…]
La pédagogie du Care appartient clairement au domaine des possibles. C’est une option que chacun d’entre nous peut prendre, et pour laquelle nous ne sommes pas forcément en mesure actuelle de fournir toutes les informations nécessaires. Mais parce que le Care est une action que l’on peut accomplir, c’est aussi une option qui affecte la manière dont on pratique l’art. L’entretien des terres, par exemple, peut être considéré comme un art du possible qui dépend de la position de l’opérateur humain et, plus généralement, du positionnement de la technologie employée. Pour que le Care puisse répondre à la situation socio-écologique dans laquelle il est employé, le soin doit être un art du possible. Ce n’est pas un art qui sera nécessairement en accord avec les objectifs politiques généraux que la collectivité cherche à d’atteindre, mais ce sera toujours un art qui tentera d’améliorer nos manières d’être au monde. En ce sens, la fonction politique du Care n’est pas toujours évidente, mais le Care dans l’art l’est.
Après notre discussion, Susan m’a envoyé un e-mail contenant dix poèmes sur le Care, l’engagement et la contemplation ;
I.
Qu’il y ait de l’art dans ce monde,
qui ne nécessite d’autre soin que le mien.
Non ! Ce n’est pas le mien, c’est celui de la mer.
Qu’il y ait de l’art dans ce monde,
jusqu’à ce que le blanc de leurs yeux
se plisse d’amour et de lumière
et brille comme l’émeraude d’antan
Certains respectent la tradition de s’habiller cool :
Avec gilets et gilets.
II.
Il y a en vous quelque chose d’obéissant et doux.
Vous l’avez peut-être remarqué.
Je ne mords pas.
Je ne lèche pas les plaies.
Je ne nettoie pas les plaies.
Je ne panse pas les plaies.
Je ne réconforte pas les sans-voix.
Je ne collecte pas les griefs.
Je ne loge pas les haineux.
Je ne tue pas la douleur d’un cœur brisé.
Je ne me moque pas du jour.
III.
Nous grandirons pour nous aimer,
comme nos frères auraient dû s’aimer,
car le soin aurait dû être une ligne de conduite
tant pour les hommes que pour les femmes.
C’est arrivé il y a quelques années
Je faisais une croisière intérieure.
Quand soudain, il n’y eut plus d’étoile
en vue. Je me retrouvai en mer
dans un gilet de sauvetage, à bord
d’un bateau de sauvetage, appelé cutter.
IV.
Que l’amour règne !
C’est la conduite la plus noble.
Tu t’es construit toi-même ! Tu dois être
soigné ! Au moins une fois, pour ton bien.
Parfois.
Je ne trouve pas la chose à dire
sur le fait de penser avec soin.
Tout dépend du type de soin.
Ton soin artistique est suffisant
Pour moi.
Parfois, je dois juste
Réfléchir.
V.
Si tu veux, promène-toi le long des barrières,
et fais un petit tour dans le village.
Ou, d’une autre façon,
Si tu veux, caresse un lépreux et aide-le,
Ton égal, si ce n’est votre égal.
Retourne chez toi, mets ta tête sous l’herbe,
et allonge-toi en gémissant.
Ou, la manière forte, couche-toi avec un gémissement.
Ou, la bonne façon ; il n’y a pas d’urgence
Ni pour ici ni pour là ; ne te presse pas
Dans la hâte ! la hâte ! – Ce qui pousse
les hommes à se presser est mort.
VI.
C’est tout ce qu’il y a à faire.
Si tu embrasses mes blessures,
je pataugerai dans l’eau et te sauverai.
Le soin est le travail le plus important de l’esprit.
C’est l’art du cœur.
C’est la science du visage.
Prendre soin, c’est apprendre à être présent,
à être conscient de la présence,
à être conscient de ce qui nous entoure,
à prendre soin de l’avenir comme du passé,
tel que nous le parlons.
VII
C’est la dyade.
L’autre dyade est une fixation.
Nous sommes fixés sur la qualité onirique des choses,
si bien que nous ne pouvons pas rêver en elles ; ainsi, aimer
et être dans une chose est si rare
que cela a nécessité une mutation complète du patrimoine génétique.
Je me rends compte que la raison de cette fixation absurde
est, comme je tente de m’en convaincre,
que le rêve défectueux est une forme d’amour,
et non une maladie.
VIII
Vous pouvez l’appeler “Futurité”,
un loisir indulgent, équivalent à l’innocence,
Vous pouvez l’appeler la nouvelle normalité,
une indulgence, sinon une naïveté.
Dans les deux cas, vous vous éloignez de l’avenir,
des possibilités illimitées qu’il avait promis.
Vous êtes un atome, complètement dépourvu
d’expériences, de pensées et de désirs.
Vous êtes un atome, anéanti, pour le bien
de l’avenir qui ne vit que dans la tombe.
Vous n’êtes pas un fantôme, victime de l’ultime explosion
de l’énorme particule, aussi petite soit-elle.
Vous êtes.
IX
Si tu le souhaites, Aphrodite,
Toi qui es avare de semences, je parie
que je peux rendre ton cœur gros et délicieux
avec la dernière goutte de tes larmes visqueuses.
Si tu le souhaites, Déméter.
Mère des artifices, je parie
que je peux façonner les pierres de ton charnier,
et te prouver mon pouvoir insensible.
Si tu le souhaites, Titien,
Berger infirme, jeune gars
au bâton d’or, forgeron en panoplie.
Lorsque le jour viendra enfin, je parie
que nous boirons le vin de tes placards.
et serons plein du pouvoir de tes soins immédiats.
X.
Le choix vous appartient : suivre le mouvement
ou nourrir l’avenir de vos enfants ?
Suivre le mouvement, pour le bien du monde,
Ou nourrir l’avenir de vos enfants ?
Suivre le mouvement, pour le bien du peuple,
ou de la nation, ou du monde ?
Suivre le mouvement, pour le bien du monde,
ou la santé de votre peuple ?
Suivre le mouvement, pour le bien du peuple,
Juliette Pénélope Pépin est une artiste et écrivaine autodidacte. Sa pratique s’articule autour de la pensée critique et de la recherche esthétique. Formée en design, en informatique et en arts plastiques, son travail oscille entre images numériques, installations et interventions participatives dans des espaces publics ou privés. S’intéressant à des sujets tels que la contestation, l’écologie ainsi que la poésie et la philosophie, le travail artistique de Juliette est celui d’une recherche critique perpétuellement matérialisée plutôt que d’une forme fixe.
Juliette Pénélope Pépin est une artiste et écrivaine autodidacte. Sa pratique s’articule autour de la pensée critique et de la recherche esthétique. Formée en design, en informatique et en arts plastiques, son travail oscille entre images numériques, installations et interventions participatives dans des espaces publics ou privés. S’intéressant à des sujets tels que la contestation, l’écologie ainsi que la poésie et la philosophie, le travail artistique de Juliette est celui d’une recherche critique perpétuellement matérialisée plutôt que d’une forme fixe.